Les recensements de Charleville
(XVIIe-XIXe siècles)
– Novembre 2020 –
Une source exceptionnelle pour l’histoire des populations et des sociétés urbaines
Charleville a été fondée en 1606 par Charles de Gonzague, sur le territoire de la principauté d’Arches, à la frontière de la France et des Pays-Bas alors espagnols. La population de la ville a d’abord été constituée d’hommes et de femmes attirés par le potentiel économique de la ville, située sur une boucle de la Meuse, ainsi que par les exemptions fiscales et par l’amnistie des délits et crimes offerts par le prince. Elle s’est stabilisée à quelques milliers d’habitants à la fin du XVIIe siècle. C’est alors que les autorités municipales ont commencé à réaliser des dénombrements annuels de la population de la ville.
C’est, à notre connaissance, le seul exemple en France d’une population qui puisse ainsi être suivie nominalement et annuellement sur une période aussi longue puisqu’elle va jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Pour le XVIIIe siècle, il est très rare de disposer de plus d’un ou deux recensements pour une ville donnée et, pour le XIXe siècle, il n’existe pratiquement que les recensements quinquennaux organisés par le gouvernement pour toutes les années se terminant par un 1 ou un 6.
Plusieurs séries
La série, qui est intitulée « Rôle des bourgeois et habitants de la ville de Charleville », commence en 1698 et se poursuit, de façon irrégulière, jusqu’à 1731. Les dénombrements sont plus systématiques de 1733 à 1739 avant une nouvelle lacune pour 1740 et 1741, due à l’importante crise démographique et économique qu’a connue alors le royaume de France. Les registres couvrent, ensuite, toutes les années de 1742 jusqu’en 1789.
La municipalité a également procédé à plusieurs dénombrements sous la Révolution et l’Empire, cette fois-ci à la demande des autorités nationales, puis elle a repris ses dénombrements annuels pratiquement durant tout le XIXe siècle, avec des lacunes importantes durant la première moitié du siècle, et jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. La qualité des recensements et la conservation des registres sont au plus haut entre les années 1850 et le début du XXe siècle. En 1940, les listes ont été préservées des destructions qui ont frappé les archives alors qu’elles étaient en cours d’évacuation.
Rôle des bourgeois et habitants de la ville de Charleville
L’origine de ces dénombrements et la raison de leur annualité sont encore mal connues. À la fin du XVIIe siècle, la principauté d’Arches était toujours possédée par la famille de Gonzague, qui régnait sur le duché de Mantoue, en Italie, mais elle était placée dans l’orbite de la France. Il est alors possible que les autorités municipales aient été inspirées par la Méthode générale et facile pour faire le dénombrement des peuples de Vauban, qui avait été publiée en 1686. La preuve d’une influence directe n’a cependant pas été faite à ce jour, d’autant plus que les premiers dénombrements de Charleville ne suivent pas le cadre fixé par la Méthode. Jusque dans les années 1730, il s’agit plutôt de simples listes de chefs de ménage qui ne donnent pas d’indications sur leur composition. Une origine purement locale de ces dénombrements, à des fins variées, en particulier fiscales, ne peut donc être écartée. Dans les années 1700, ils ont clairement servi à organiser le logement de gens de guerre et, dans les années 1730 encore, les récapitulatifs de la population indiquent que les listes recensent les « bouches à nourrir », ce qui les place dans une perspective liée aux problèmes de ravitaillement importants dans le cas d’une ville frontière.
Dénombrements et Recensements de la population
Aux XVIIIe et au XIXe siècles, les visées administratives générales semblent l’emporter et l’information se standardise lorsqu’à partir de 1739, s’impose l’usage d’un registre pré-imprimé, qui est complété grâce aux informations fournies par les recenseurs qui procèdent maison par maison, rue par rue et quartier par quartier dans un ordre complexe à retracer.
Le dénombrement indique en premier lieu le nom du propriétaire du logement, puis le nom et le prénom du recensé, qualifié de « bourgeois », la présence dans son ménage d’une épouse, de parents ou de dépendants, ses profession et qualités, son lieu de naissance, le nombre d’enfants au-dessous de seize ans, le nombre d’enfants au-dessus de seize ans, le nombre de domestiques de son ménage, le temps de sa présence à Charleville. L’avant-dernière rubrique récapitule le nombre de personnes dans le ménage et la dernière comprend des « observations ». Au XIXe siècle, le recensement indique en plus le nom, le prénom, l’âge, l’état-civil et la profession, s’il y a lieu, de chacune des personnes présentées dans le ménage. Les raisons pour lesquelles la ville a continué, pendant tout le XIXe siècle à procéder, année après année, à l’établissement de ces recensements n’ont pas encore été établies.
Malgré les évolutions dans le temps de la nature des informations recueillies, la masse de données livrées par les dénombrements et les recensements de Charleville dans la longue durée est exceptionnelle et justifie la vaste enquête sociodémographique qui étudie, depuis les années 2000, la population de la ville.
Sources
Archives Communales de Charleville, BB 22 et suivantes.
Archives Départementales des Ardennes, 3 F 3 à 407.
Bibliographie
Jean-Noël Biraben, « Inventaire des listes nominatives de recensement en France », Population, 1963, p. 305-327.
Michel Cart, « La population de Charleville au milieu du 18e siècle », Terres Ardennaises, tome 6, avril 1984, p. 6-10 et juin 1984, p. 6-10.
François-Joseph Ruggiu, L’individu et la famille dans les sociétés urbaines anglaise et française au XVIIIe siècle, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2007.
Michel Stevenin, La population de Charleville, 1677-1792, Mémoire de maîtrise de l’Université de Reims, 1974.
Stéphane Taute, « Recensements, dénombrements, visites », Études Ardennaises, n°11, octobre 1957, p. 55-60.
Éric Vilquin, « Vauban, inventeur des recensements », Annales de Démographie Historique, 1975, p. 207-257.
Michèle Virol, Vauban. De la gloire du roi au service de l’État, Seyssel, Champ Vallon, 2003.