Catherine de Lorraine, l’épouse influente de Charles de Gonzague

Notice proposée par Claude Grimmer
– Février 2022 –

      Rien ne prédestinait Catherine de Lorraine à devenir l’épouse de Charles de Gonzague, duc de Nevers, Rethel, Prince d’Arches. Elle est la fille de Charles de Lorraine, duc de Mayenne, dont les deux frères, Henri duc de Guise et Louis le cardinal, ont été tués à Blois sur ordre d’Henri III les 23 et 24 décembre 1588. La Sainte Ligue, parti des catholiques zélés, opposée au roi et à la possible succession d’Henri de Navarre, est reprise par son père, alors que Ludovic de Gonzague, fidèle de la famille royale, obtient la charge de lieutenant et gouverneur de la Champagne et de Brie, que détenait le duc de Guise pour son jeune fils Charles.

Un mariage politique encouragé par Henri IV

Il faut donc attendre que Mayenne soit défait à la bataille de Fontaine-Française (1595), où il avait donné son appui au connétable de Castille, pour que les tensions politiques s’apaisent et qu’il fasse allégeance à Henri IV. À cette époque, Henriette de Clèves, veuve du duc de Nevers, très attachée à son fils unique, lui cherche une épouse. Les partis ne manquent pas et toutes les jeunes filles de la Cour espèrent être choisies. C’est alors avec la complicité d’Anne d’Este, duchesse de Nemours, la marraine de Charles et la grand-mère de Catherine, que naît l’idée d’une alliance possible entre les deux familles.

Non seulement les fortunes sont équivalentes mais Catherine a un frère, Henri, encore célibataire et Henriette de Clèves aimerait bien marier sa fille déjà âgée. Le double mariage est célébré à Soissons en janvier 1599, dans une intimité toute relative qui s’explique officiellement par la date choisie, en plein hiver, en l’absence de Madame de Nemours trop âgée pour y assister et d’Henriette au veuvage encore récent. On peut avancer aussi une discrétion voulue en raison des circonstances politiques, même si le roi Henri IV est absolument ravi de cette union qui scelle la fin d’une opposition au pouvoir royal.

Un couple soudé qui partage un idéal politique et une vision de la société

Le portrait que nous laissent les contemporains – et particulièrement le père Hilarion de Coste – est évidemment à nuancer car trop hagiographique. Catherine de Lorraine est loin de cet « ange qui ne pense qu’au ciel ». Il faut donc revenir à la correspondance pour mieux comprendre cette femme qui joue un rôle éminent au côté de son mari et de son frère.

Dès 1614, Catherine de Lorraine prend parti avec eux dans la révolte des Grands qui réclament et obtiennent des États Généraux, auxquels elle assiste.

Charles suit les conseils de l’amie de sa mère, Marguerite de Valois, de ne point participer à la seconde révolte (1615) et d’envoyer son épouse pour aplanir les différends. Une stratégie se met en place. Catherine accepte, pour sceller la réconciliation, d’accompagner la princesse Élisabeth de France à Bordeaux et de recevoir Anne, l’infante d’Espagne (future Anne d’Autriche).

Mais lors de la troisième révolte, Catherine, avec son mari, prend de nouveau le parti des malcontents. Elle fait preuve d’un grand courage et n’hésite pas à prendre des risques. Le 17 novembre 1616, enceinte elle veut rejoindre Nevers, mais le gouverneur de Reims, La Vieuville, refuse de la laisser entrer, craignant qu’elle vienne fomenter une révolte : elle se dit « gouvernante de la ville », terme fort qui montre qu’elle s’identifie totalement à son mari qui en est le gouverneur. Elle est obligée de coucher dans une auberge du faubourg de Reims et réclame justice pour l’affront qu’elle a subi. Une fois arrivée à Nevers, elle n’hésite pas à mettre en gage, le 6 février 1617, des bijoux pour entretenir les troupes insurgées et à soutenir le siège de la ville pendant seize jours. Elle entraîne elle-même les gardes et les bourgeois à résister.

Après l’assassinat de Concini, maréchal de France, un des conseillers de Marie de Médicis les plus haïs, en avril 1617, Catherine joue l’apaisement et, à son retour au Louvre, elle est reçue avec tous les honneurs.

 

Procuration devant les notaires Bontemps et Guillard de Charles de Gonzague à son épouse Catherine de Lorraine pour qu’elle puisse gérer l’ensemble de ses biens et les procès en son absence, le 27 août 1616

Touchée par le mysticisme​

Catherine a été choisie par Henriette pour ses vertus et son éducation pieuse. Avec son époux, elle va en pèlerinage à Rome, à Notre-Dame de Lorette, à Liesse. Elle favorise les couvents de Nevers. Son fils aîné, François de Paule, est baptisé en 1607 par le provincial de l’ordre des Minimes en l’église des Cordeliers de Nevers.

Elle soutient son mari dans la fondation de Charleville qui est un projet commun et dont les deux rues principales portent les noms de leurs deux saints protecteurs. On sait qu’elle visite les prisonniers à Paris et croit en la rédemption ; ce qui pourrait expliquer le refuge que constitue Charleville pour les bannis. Elle commande sur ses propres deniers la fondation du couvent des Carmélites pour l’éducation des filles.

Si une foi intense unit Catherine et son mari, elle prend une couleur différente chez chacun d’eux. Charles est dans la croyance, voire la superstition, selon Marolles, alors que Catherine se tourne de plus en plus vers une religion mystique, très en vogue en Italie et en Espagne, faite de prières, de jeûnes et de mortifications. Elle fréquente Pierre de Bérulle, fondateur de la Société de l’Oratoire, lit les ouvrages des jésuites espagnols, passe de longs moments dans le silence et le froid, en prières.

 À la mi-février 1618, elle se sent mal et s’alite. On appelle les meilleurs médecins à son chevet, on fait dire des messes dans de nombreuses églises et monastères pour son rétablissement, mais elle meurt le 8 mars. « Monsieur de Nevers est inconsolable », écrit Marolles.

Hilarion de Coste insiste sur le fait que Catherine aimait le dénuement. Toujours est-il que les honneurs lui sont rendus par toute la Cour, selon son rang.

À Reims, Jean Pussot, maître-charpentier, tient son journal : « En ce temps mourut à Paris Madame de Nevers et fut son service fait à Reims en l’église Notre-Dame aux dépens de la ville savoir les vigiles le dimanche premier avril jour de la passion et le lendemain les messes ; le tout célébré avec telle magnificence que pour un roi. Dieu lui fasse miséricorde ! Amen ». Il précise qu’il n’a jamais vu messe aussi splendide et que Madame fut portée à Nevers avec beaucoup de pompe. La cérémonie a lieu le 4 avril et suit en tout point les règles de la maison de Nevers, avec son inhumation dans le chœur de l’église cathédrale, au tombeau des Nevers.

Catherine laisse six enfants : François, 11 ans, Charles, 9 ans, Marie Louise, 7 ans, Ferdinand, 5 ans, Anne, 2 ans et la petite Bénédicte qui a juste un an.

Les rues Saint-Charles et du Moulin (anciennement Sainte-Catherine) - plan cadastral de Charleville de 1834 (Archives Départementales des Ardennes, 3P105 24)

Bibliographie

Claude Grimmer, Le duc de Nevers, un prince européen sous Louis XIII, Paris, Fayard, 2021.

Claude Grimmer, « La fondation de Charleville en la souveraineté d’Arches. Fer de lance d’une Europe chrétienne (1606-1626) », in Guyon Catherine, Krumenacker Yves, Maes Bruno (dir.), Une piété lotharingienne. Foi publique, foi intériorisée (XIIe-XVIIIe siècles), Paris, Classique Garnier, 2022, p. 63-79.

Hilarion de Coste, Miroir des dames sur les vertus héroïques de très haute et très illustre princesse Catherine de Lorraine, duchesse de Nevers, manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale : BNF ms fr 4729.

Mémoires de Michel de Marolles, abbé de Villeloin contenant ce qu’il a vu de plus remarquable en sa vie depuis l’année 1600, Paris, 1641.

Journalier de Jean Pussot, maître-charpentier à Reims, 1568-1626, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2008.