Charleville face
à la Révolution

Notice proposée par Vincent Gourdon
– Décembre 2020 –

Pendant la Révolution, la ville de Charles de Gonzague, profondément divisée par les oppositions internes, voit sa position dominante entamée par la cité rivale de Mézières.

La revanche de Mézières

En 1789, Charleville accueille un marché des céréales, le lundi, et conserve des privilèges fiscaux, qui, dans les deux cas, suscitent l’animosité des habitants de sa voisine, Mézières. C’est notamment en raison de leur spécificité fiscale que les échevins carolopolitains refusent, dans une lettre au Garde des sceaux le 6 mars 1789, de se rendre à l’assemblée de préparation des États Généraux, à Sainte-Menehould, le 10 mars. Cette position maladroite de la ville est vite corrigée avec l’envoi d’une députation le mois suivant, puis des déclarations d’appartenance au Royaume lors d’une réunion générale des habitants le 25 avril, et enfin, le 13 août, une renonciation solennelle des habitants à leurs privilèges transmise à l’Assemblée Nationale. Mais le mal est fait et l’image d’une cité jalouse de ses avantages, et au fond réticente devant les transformations révolutionnaires, est largement utilisée par sa rivale, Mézières, pour la discréditer et récupérer à son profit une grande partie des nouvelles institutions mises en en place par la Révolution. Lorsqu’il s’agit de fixer le chef-lieu du nouveau département des Ardennes en avril 1790, c’est ainsi Mézières la patriote qui emporte les suffrages des électeurs venus de tous les cantons. Celle-ci accueille également le siège du tribunal criminel. Parmi les principales cités du département, seule Sedan, la plus peuplée, reçoit un lot de consolation avec l’obtention, en juillet 1790, du siège cathédrale, bientôt occupé par le nouvel évêque constitutionnel, Nicolas Philbert, ancien curé de Saint-Charles de Sedan.

Vaincue sur le plan administratif, Charleville subit en parallèle une offensive pendant toute l’année 1789 contre sa fonction de grand marché céréalier : les localités voisines, Mézières en tête, dénoncent les hausses du prix du grain dues, selon elles, aux accaparements des marchands “spéculateurs” carolopolitains. À l’automne, la situation s’envenime et des convois de grains destinés à Charleville sont arrêtés par les femmes de Mézières, affamées. Mais le maire de Charleville, Cochelet, élu en décembre 1789, parvient à défendre sa cité auprès de l’Assemblée Nationale : les projets de déplacement du marché aux grains, portés par sa voisine, sont bloqués.

En revanche, lorsque le 19 novembre 1793, un référendum organisé auprès des habitants du faubourg du Pont-d’Arches aboutit au rattachement de cette portion du territoire carolopolitain à la commune de Mézières, qui avalise aussitôt le résultat, la municipalité de Charleville (rebaptisée “Libreville”) ne peut s’y opposer.

Une municipalité modérée face aux crises révolutionnaires

Les notables (marchands, négociants et hommes de loi) qui dirigent la ville au début de la Révolution parviennent globalement à contrôler le pouvoir municipal pendant toute la période révolutionnaire, malgré les fortes tensions qui animent la vie politique locale.

Après les premiers mois de conflits avec Mézières, Charleville est troublée par la crise religieuse que provoque partout en France l’adoption de la Constitution civile du clergé en 1790. La majorité du clergé carolopolitain, dont le curé et tous ses vicaires, refuse de prêter serment à cette constitution, contrairement à leurs homologues de Sedan. Cette hostilité nourrit une méfiance des habitants vis-à-vis des prêtres et des religieuses. Le 6 mai 1791, une manifestation de la population contre les sœurs de la Providence, qui ont refusé de se joindre aux festivités célébrant la fondation de la ville, se terminent par un saccage de l’église. Les 27-28-29 mars 1792, une seconde manifestation s’en prend aux couvents et à tous ceux qui abritent les prêtres réfractaires à la Constitution civile du clergé.

Les contestations se font plus vives à partir de l’été 1792. La crise économique appauvrit les classes populaires, en particulier les armuriers payés en assignats, qui représentent 9% des hommes chefs de famille au recensement de 1790. En outre, les revers militaires et l’invasion du territoire font craindre une attaque de la cité. La population modeste réclame des mesures de taxation que refuse une municipalité attachée à la liberté économique. L’autorité de cette dernière est affaiblie par le soutien de certains membres à La Fayette – qui a refusé en août la suspension des pouvoirs du roi -, suivi de leur émigration : on la suspecte de manquer d’esprit patriotique, voire pire encore. Le 4 septembre 1792, le sous-directeur de la manufacture, accusé de vouloir passer des armes aux ennemis de la Révolution, est tué par une foule où se mêlent habitants et soldats volontaires, massés en ville pour en assurer la défense.

Ce n’est cependant qu’en Brumaire An II (octobre 1793), avec l’arrivée dans le département des représentants de la Convention, Hentz, Bo et Coupé de l’Oise, que la politique municipale s’infléchit dans le sens montagnard : un système municipal de boulangerie est mis en place avec distribution de pains par des commissaires spéciaux assistés de membres de la société populaire de “Libreville”. Levasseur, nouveau représentant nommé au printemps 1794, accentue à son tour la politique robespierriste. Les personnes entretenant des liens avec des émigrés sont arrêtées, le maximum est établi et la déchristianisation est renforcée. La fête de l’Être suprême est célébrée en ville le 20 Prairial An II  (8 juin 1794). Cette politique qui s’appuie sur les milieux populaires et le mouvement sans-culotte local ne se traduit cependant pas par des exécutions nombreuses parmi les habitants de la cité.

La chute de Robespierre en Thermidor An II modifie la donne politique à Charleville comme dans le reste du département. Delacroix, le nouveau représentant du peuple, autorise l’arrestation de plusieurs leaders montagnards ardennais (Vassant, Mogue, etc.) et leur emprisonnement dans la citadelle de Mézières. Jugés et condamnés à mort le 27 Messidor An III (15 juillet 1795), ils sont exécutés le jour-même. À Charleville, la municipalité dominée par les modérés peut renouer avec l’orientation de défense de la liberté économique abandonnée sous la pression montagnarde.

Bibliographie

Michel Cart et alii, Charleville-Mézières, Paris, Éditions Bonneton, 1991.

Jean Leflon, Nicolas Philbert, évêque constitutionnel des Ardennes, Mézières, Archives départementales, 1954.

Stéphane Minvielle, « Les ménages de Charleville en 1790 », Revue du Nord, 2013, 2-3, p. 415-449.