Les Belges à Charleville au XIXe siècle

Notice proposée par Romain George
– Mars 2022 –

       Charleville, la ville la plus importante des Ardennes, se situe au nord de ce département, à peu de distance des anciens Pays-Bas devenus les actuels Belgique et Luxembourg. Depuis l’origine, la croissance démographique de la ville s’est nourrie de la proximité de ces territoires étrangers. Dans ce contexte, Charleville s’est inscrite très tôt, dès le XVIIe siècle, au cœur d’importants courants de migrations frontalières. Ces déplacements ont continué d’irriguer les Ardennes au XIXe siècle, puisque des hommes et des femmes arrivant en nombre pour travailler à Charleville provenaient des régions de Namur, du Luxembourg et, dans une moindre mesure, du Hainaut. Nous les désignons ici sous le terme générique de « Belges ».

Comment mesurer le nombre des Belges à Charleville ?

Trois types de sources permettent de repérer ces individus à Charleville. Les premières sont les listes nominatives d’habitants de la ville. Charleville offre la particularité d’avoir organisé et conservé des recensements communaux annuels de façon presque continue du XVIIIe au XXe siècle, et les listes qui en émanent indiquent les localités d’origine des chefs de ménage dans un premier temps, puis celles de tous les adultes.

À ce premier ensemble, s’ajoutent au XIXe siècle les recensements quinquennaux nationaux qui, en fin de siècle, précisent systématiquement la nationalité de chaque individu au sein de chaque ménage.

Enfin, une troisième source concerne plus spécifiquement les étrangers : il s’agit des registres de déclaration d’identité par nationalité (ci-contre), apparus à partir du décret du 2 octobre 1888 et dans lesquels sont déclarés les individus de nationalité étrangère demandant l’admission à domicile à Charleville auprès des autorités municipales. Ces registres permettent de connaître la filiation des étrangers et des étrangères car la nationalité des parents y apparaît systématiquement.

AD08, sous-série 3E 12-15 : Registres de déclarations d’identité et de nationalité des étrangers (1888-1893) - R. George (2022)

Combien étaient-ils entre 1790 et 1890 ?  

63 individus originaires des communes qui constitueront la Belgique sont dénombrés à Charleville sous la Révolution en 1790, mais leur effectif augmente fortement après 1830, à plus forte raison à partir de la révolution industrielle des années 1850 : on compte ainsi 323 individus belges à Charleville en 1865. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, la dynamique se stabilise sans pour autant perdre en nombre d’individus, puisqu’on comptabilise encore 367 Belges en 1891.

D’où viennent les Belges ?

À partir des années 1850-1860, l’industrialisation de la vallée de la Meuse est florissante. Les Belges qui s’installent à Charleville proviennent alors majoritairement des communes frontalières du sud de la Belgique, en particulier de Bertrix et de Florenville, où sont formés les ouvriers du secteur de la métallurgie. Avec l’arrivée du chemin de fer dans la seconde moitié du XIXe siècle, les flux de Belges venus de la vallée de la Meuse se massifient ; parmi les échantillons de Belges collectés dans le recensement quinquennal de 1865 et dont les patronymes commencent par B, on repère ainsi 199 individus natifs des communes jouxtant le fleuve du côté belge. Ce sont principalement des travailleurs ouvriers et journaliers.

Lieux de naissance des individus de nationalité belge repérés dans le recensement quinquennal de 1891 à Charleville - R.George (2022)

L’installation des Belges en ville : l’exemple de la famille Colaux

À l’inverse des journaliers, certains immigrés belges, jouissant d’un haut niveau de formation, s’installent durablement à Charleville et implantent leur industrie en ville comme l’a fait la famille Colaux. Les membres de cette fratrie originaire de Malvoisin quittent la Belgique à différents moments.

L’aînée, Marie Tharsile, rejoint Charleville dès le début des années 1880 et se marie avec un jeune cloutier, lui aussi d’origine belge, mais natif de Charleville.

Trois autres membres de la fratrie, les deux frères, Alfred et Victor, et leur sœur cadette, Maria, partent de Belgique à la suite de la crise industrielle qui frappe le pays en 1886 et, à leur arrivée à Charleville à la fin de la décennie, exercent le métier de verrier. Tous les trois sont employés dans la verrerie des Moulinets, fondée en 1863 dans les faubourgs de Charleville. Ils vivent à proximité immédiate de cette fabrique. Dernière arrivée, Marie a épousé Joseph Pierrard, un employé de la prestigieuse verrerie de Seraing dans la province de Liège. En s’installant à Charleville, celui-ci amène un savoir-faire nouveau qui permet aux membres de la famille Colaux d’inscrire leur art de manière durable dans la ville.

 

Bibliographie

Fabrice Boudjaaba, Vincent Gourdon, « Quitter Charleville dans les années 1860-1870 : une analyse de la mobilité urbaine à court et à moyen terme », Histoire et Mesure, 2013, 2, p. 89-128. URL : http://journals.openedition.org.janus.bis-sorbonne.fr/histoiremesure/4813

Romain George, L’Immigration des Belges à Charleville (1790-1891), master recherche d’histoire, Paris IV Sorbonne, 2016.