Les prisonniers de guerre étrangers
à Charleville durant
le Consulat et l’Empire

Notice proposée par Mathilde Prez
– Novembre 2020 –

Durant les guerres du Consulat (1799-1804) et du Premier Empire napoléonien (1804-1815), de nombreux prisonniers de guerre étrangers sont retenus captifs en France. En 1809, ils sont au nombre de 59 726. Des dizaines de milliers de prisonniers vivent leur captivité dans le département des Ardennes entre 1799 et 1815.

Ils sont répartis dans douze villes : Bouillon, Charleville, Donchery, Givet, Mariembourg, Mézières, Mouzon, Philippeville, Rethel, Rocroi, Sedan et Vouziers. Charleville est l’une de celles qui en accueille le plus grand nombre durant cette période : 1416 hommes sont par exemple présents dans cette ville à la date du 25 décembre 1805.

Prisonniers des dépôts, prisonniers en ville et prisonniers de passage

Charleville est régulièrement désignée par les autorités étatiques pour l’accueil des prisonniers de guerre car elle offre des lieux de détention sécurisés et des moyens de casernement importants. Les hommes sont répartis dans des dépôts qui peuvent être des casernes militaires comme celle de la Porte de Flandre ou des établissements aménagés comme le collège des Jésuites. Ces dépôts sont commandés et surveillés par des gendarmes et des militaires. Les prisonniers sont rassemblés par nationalité et selon leur grade militaire.

Les sous-officiers et les soldats ne sont généralement pas détenus avec les officiers, qui peuvent jouir du statut de « prisonnier sur parole » les autorisant à vivre en ville durant leur captivité. En ville, les officiers logent dans des appartements privés, des auberges ou chez des particuliers aisés. Ils participent à la vie locale, assistent aux fêtes et aux rassemblements et fréquentent les commerces et les tavernes. Néanmoins, les plus dangereux sont enfermés dans des dépôts. Lors de leur arrivée, tous les prisonniers sont inscrits sur des registres afin d’être identifiables par les autorités françaises.

Charleville accueille des prisonniers de guerre autrichiens en 1799-1801, 1805-1807, 1809-1810, des Prussiens en 1806-1808, des Suédois en 1807-1808, ainsi que des Espagnols en 1809-1814. Les prisonniers de nationalités différentes ne sont pas détenus dans les mêmes dépôts afin d’éviter les débordements.

Les dépôts de prisonniers de guerre de la ville ont une importante capacité d’accueil. Des prisonniers de guerre y sont régulièrement envoyés en grand nombre. Ainsi, 1 600 Autrichiens sont conduits à Charleville au mois de novembre 1805. À la date du 20 novembre 1805, ce sont 1 800 personnes au total qui sont retenues captives dans cette ville. La majeure partie des prisonniers de guerre sont des militaires appartenant à une armée ennemie, cependant des femmes et des enfants sont également concernés. Par exemple, au mois de septembre 1811, 29 femmes sont détenues dans le dépôt de prisonniers espagnols de la ville.

Durant le Consulat et le Premier Empire, Charleville est aussi un lieu de passage des prisonniers. Nombreux sont ceux qui n’y font qu’une étape avant de continuer leur marche vers leurs villes d’assignation. Par exemple, entre le 11 juin et le 28 novembre 1809, 3 379 prisonniers autrichiens ont séjourné à Charleville. Ces hommes sont hébergés dans les dépôts de la ville ou chez les habitants, ainsi que dans des abris précaires lorsque les capacités d’accueil de la ville sont atteintes. En juillet 1800, 1 200 hommes sont logés dans la demi-lune de l’ancienne arquebuse. En mai 1811, 300 Espagnols sont installés très sommairement dans les greniers des écuries de la porte du Petit Bois : ils n’ont même pas de paille pour se coucher.

Un poids ou une aubaine pour la ville ?

La présence des prisonniers de guerre à Charleville représente un coût financier important pour la municipalité qui doit avancer à l’État toutes les dépenses liées à l’entretien de ces hommes. En amont, elle doit préparer leur arrivée en leur trouvant un logement et, ensuite, assurer leur gestion quotidienne en leur fournissant des vivres, des équipements (couvertures, ustensiles de cuisine…) et les matières premières (paille, bois…) nécessaires à leur quotidien. Enfin, elle est également responsable de leur surveillance, de l’organisation de leurs déplacements et doit leur fournir les soins requis s’ils sont blessés ou malades.

Charleville manque parfois de moyens pour loger ces hommes et subvenir à leurs besoins et met à contribution les habitants pour réduire ses dépenses. Ainsi, en juillet 1800, les Carolopolitains doivent fournir de la paille de couchage et des marmites aux prisonniers. En novembre 1806, ils doivent distribuer des couvertures aux 200 Autrichiens qui arrivent en ville.

Néanmoins, la présence de ces étrangers est bénéfique pour Charleville. Les prisonniers constituent un apport de main d’œuvre en ville et dans les campagnes environnantes. Il arrive parfois que les Carolopolitains et les habitants des villes voisines les accueillent dans leurs foyers afin de les faire travailler et de se faire aider pour les tâches du quotidien.

Être un prisonnier à Charleville

Les prisonniers retenus captifs dans les dépôts de Charleville sont relativement bien traités : ils sont nourris convenablement et peuvent solliciter les autorités étatiques s’ils le souhaitent. En 1803, ils reçoivent journellement une livre de pain, une ration de viande, de légumes secs et de sel, ainsi que sept centimes et demi en argent. Néanmoins, ils manquent régulièrement d’effets d’habillement pour affronter les rudes conditions climatiques hivernales. En outre, ces hommes arrivent souvent blessés et usés par les combats qu’ils ont menés avant d’être capturés. Ainsi, au mois de mars 1812, douze prisonniers espagnols du dépôt de Charleville sont recensés en très mauvais état physique ; l’un d’eux a perdu ses « deux dernières phalanges du doigt annulaire et auriculaire de la main gauche » et a une « fracture de la clavicule qui le prive de l’usage du même bras ».

Les prisonniers détenus à Charleville sont parfois porteurs de maladies. Des épidémies de fièvre se répandent dans les dépôts. Nombre de captifs décèdent dans les casernes et les hôpitaux environnants. Par exemple, le 25 décembre 1805, parmi les 1 416 détenus du dépôt de Charleville, on compte 120 malades hospitalisés, 39 autres hommes sont pris en charge dans des hôpitaux externes et 20 autres sont déclarés galeux. Ces individus ne semblent néanmoins pas être considérés comme un danger pour la santé publique. En effet, aucune source étudiée n’indique que des mesures aient été prises pour les confiner et les éloigner de la population.

Les prisonniers de guerre perçoivent une solde de l’État pour financer leur captivité qui varie selon leur grade militaire (la solde des soldats est inférieure à celle des officiers). Elle s’avère souvent insuffisante pour couvrir toutes leurs dépenses comme l’achat d’ustensiles de cuisine, de vêtements, de savon à barbe ou pour faire raccommoder leurs vêtements et réparer leurs chaussures. Pour échapper à leur condition de captifs, certains prisonniers s’enrôlent dans la marine ou l’armée de terre française. Quatre-vingt-dix-neuf prisonniers espagnols du dépôt de Charleville rejoignent par exemple l’armée de terre française le 20 mars 1812. En outre, pour améliorer leur sort (et peut-être également pour occuper leurs journées), les captifs ont la possibilité de travailler dans leur dépôt ou au service de particuliers comme des agriculteurs ou des artisans. Ils sont par exemple boulangers, cordonniers ou jardiniers. Ces hommes peuvent également être employés par l’État, qui les réquisitionne lors de grands chantiers de travaux publics : en 1810, des détachements de prisonniers espagnols de Charleville sont envoyés sur le chantier de construction du canal de Saint-Quentin.

Certains prisonniers détenus dans les dépôts de Charleville sont donc amenés à sortir régulièrement de leur lieu de captivité et à fréquenter les habitants. L’intégration des prisonniers dans la société carolopolitaine n’est pas toujours facile et diverses rixes éclatent, notamment en 1811 entre des détenus espagnols et la population. Les prisonniers se font insulter et violenter et sont « repoussés jusque dans leurs casernes » par les habitants, lorsqu’ils se trouvent en ville.

A contrario, de nombreux prisonniers s’intègrent bien dans la société et nouent des liens d’amitié avec des Carolopolitains. Certains se marient et ont des enfants avec des femmes françaises : entre l’année 1809 et 1815, on compte 20 prisonniers espagnols qui se marient à Charleville. À la fin de leur captivité, plusieurs d’entre eux décident même de s’installer dans la ville et obtiennent d’être naturalisés français.

Sources

Archives communales de Charleville, 5H1 Prisonniers de guerre : listes nominatives de prisonniers anglais, autrichiens, espagnols et prussiens. Logement, casernement et surveillance. Recrutement et enrôlement dans l’armée française (1793-1814).

Archives du Service Historique de la défense, série Yj.

Bibliographie

Mathilde Prez, Les prisonniers de guerre étrangers dans les Ardennes de 1643 à 1815, mémoire de master 1, Sorbonne Université, 2020.

David Rouanet, Les prisonniers de guerre étrangers dans le nord-est de la France (1803-1814), thèse, université Paris IV-Sorbonne, 2008.

Manuel-Reyes García Hurtado, Soldados sin historia: los prisioneros de guerra en España y Francia a finales del Antiguo Régimen, Somonte-Cenero, Gijón, Ediciones Trea, coll. « Estudios históricos La Olmeda », 2011.