L’alphabétisme à Charleville aux XVIIIe et XIXe siècles

Notice proposée par Cécile Alexandre
– Décembre 2020 –

Comment mesure-t-on l’alphabétisme
aux XVIIIe et XIXe siècles ?

Les historiens utilisent les signatures dans les actes de mariage au sein des registres paroissiaux durant l’Ancien Régime, puis des registres d’état civil à partir de 1792. Ces actes contiennent les signatures des époux, mais aussi celles des parents et des témoins. La signature donne une idée minimale de l’alphabétisme : il est possible de savoir signer sans maîtriser parfaitement la lecture et l’écriture.

Il est également possible qu’un individu apprenne à lire et écrire au cours de sa vie adulte. Néanmoins, la signature des époux au mariage est un indicateur assez stable pour permettre d’avoir une idée du niveau d’analphabétisme de toute une population et de son évolution dans le temps.

Un fort taux d’alphabétisation dès le XVIIIe siècle

Nous connaissons les grandes tendances nationales de l’alphabétisation de la fin du XVIIe siècle au XIXe siècle grâce à l’enquête dite « enquête Maggiolo ». À la fin du XIXe siècle, sous la IIIe République, Louis Maggiolo (1811-1895), un ancien recteur de l’Académie de Nancy entre 1868 et 1871, a sollicité des instituteurs dans tous les départements afin qu’ils relèvent, sur cinq périodes (1686-1690, 1786-1790, 1816-1820, 1866 et 1872-1876), les proportions d’époux signant ou non leurs actes de mariage. Les résultats montrent aux XVIIe et XVIIIe siècles une coupure en deux de la France, suivant une ligne imaginaire reliant Saint-Malo et Genève : au nord de cette ligne, la population est alphabétisée plus fortement et plus tôt que dans la partie sud.

Cette disparité nord-sud s’efface progressivement à partir de la fin du XVIIIe siècle. Situé dans la moitié nord, le département des Ardennes est parmi les plus alphabétisés dès le XVIIIe siècle, avec 70 à 79 % de signatures chez les hommes et 40 à 49% chez les femmes en 1786-1790, pour une moyenne nationale de 47% pour les hommes et 27% pour les femmes à la même date. En 1816-1820, le département compte déjà de 90 à 100 % d’hommes signant à leur acte de mariage alors que la moyenne nationale n’est encore que de 54,3%. Entre 1871 et 1875, la moyenne nationale est de 78% pour les hommes et 66 % pour les femmes ; dans les Ardennes, 90 à 99 % des hommes et des femmes savent signer, des taux comparables à ceux de la plupart des départements de l’Est de la France.

Proportion des époux signant à leur mariage à Charleville (1740-1875)
Epoux
Epouses

Charleville, comme tous les centres urbains, affiche tôt des niveaux élevés. À la fin du XVIIIe siècle, 80% des époux et déjà 70% des épouses sont déjà en mesure de signer leurs actes de mariage. Un siècle plus tard, les femmes ont rattrapé les hommes ; il ne reste plus que 3% de personnes incapables de signer le registre.

Le rôle des congrégations enseignantes et des écoles publiques

Ce niveau d’alphabétisation peut être expliqué par plusieurs facteurs. À Charleville, il existait de nombreuses écoles pour les garçons et les filles dès le XVIIe siècle, grâce à la présence des congrégations catholiques : les garçons pouvaient par exemple apprendre gratuitement à lire et écrire auprès des Frères de la Doctrine Chrétienne à partir de 1766 et jusqu’à la laïcisation de leur école en 1887. Les filles pouvaient être instruites, entre autres, par les Sépulcrines, qui s’étaient installées dès 1622 à Charleville à la demande de Charles de Gonzague. Elles pouvaient également suivre gratuitement l’enseignement des Filles Séculières de la Providence à partir de 1694. Après une fermeture pendant la Révolution, toutes les classes des congrégations masculines et féminines reprirent au début du XIXe siècle. Ainsi, les Sépulcrines, dispersées en 1792, purent revenir à Charleville en 1818 et continuer à enseigner jusqu’en 1904. À partir de 1851, les Sœurs de Saint-Vincent de Paul proposaient aussi des classes communales pour les filles pauvres.

La législation nationale a accompagné cette évolution, notamment en favorisant louverture d’écoles primaires publiques : depuis la loi Guizot de 1833, chaque commune de plus de 500 habitants devait avoir une école publique pour les garçons, ce qui fut étendu partiellement en 1836 aux filles. Les lois Falloux (1850) et Duruy (1867), puis les fameuses lois Jules Ferry (1881 et 1882), ont progressivement permis à tous les enfants, filles comme garçons, daccéder à linstruction primaire obligatoire et gratuite. À partir de 1831, une école normale a été ouverte à Charleville, où l’on formait des instituteurs pour Charleville et les Ardennes.

Bibliographie

Cécile Alexandre, Transmissions et cultures familiales : une enquête sur la population de Charleville 1740-1890, thèse en cours, Sorbonne Université.

Marie-France Barbe, « Les congrégations religieuses à Charleville et Mézières depuis le XVIIe jusqu’au début du XXe siècle », Revue Historique Ardennaise, 2006, 38, p. 67-94.

Michel Fleury, Pierre Valmary, « Les progrès de l’instruction élémentaire de Louis XIV à Napoléon III, d’après l’enquête Maggiolo (1877-1879) », Population, 1957, 1, p.71-92.

François Furet, Jacques Ozouf, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Éditions de Minuit, 1977.

Dominique Julia, « L’enseignement primaire dans le diocèse de Reims à la fin de l’Ancien Régime », Annales Historiques de la Révolution Française, 1970, 200, p. 233-296.

François Lebrun, Marc Vénard, Jean Quéniart, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, Tome II, De Gutenberg aux Lumières : 1480-1789, Paris, Perrin, 2003 (1981).

Françoise Mayeur, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, Tome III: De la Révolution à l’École républicaine, Paris, Perrin, 2004 (1981).