Les journées européennes du patrimoine
Visites promenades & conférences
– 16 & 17 septembre 2016 –
Organisées par :
Soutenues par :
Charleville, une ville et sa population
État des recherches (XVIIe-XIXe siècle)
Conférence des étudiants de master le 16 septembre 2016 – auditorium de la médiathèque Voyelles
Pour lancer les journées européennes du patrimoine, les étudiants de master du Centre Roland Mousnier de Sorbonne Université ont présenté leurs travaux en cours sur Charleville, son histoire et sa population.
Plusieurs thèmes ont été abordés concernant la ville à l’époque moderne :
Le collège des Jésuites
(Romain Guénot)
La succession des Gonzague aux Condé
(Anna Bastianelli)
La société aux XVIIIe siècle et XIXe siècles
grâce à l’étude des réseaux de parrainage
(Cécile Alexandre)
Les mariages entre parents, XVIIIe-XIXe siècles (Elodie Carpentier)
Les grands garçons au XVIIIe siècle
(Coralie Monteil)
La présence des Belges dans la ville au XIXe
(Romain George)
GénéaLogis
Habiter la place ducale
Visite promenade lors des journées européennes du patrimoine - 17 septembre 2016
L’enquête « Charleville » s’intéresse à un espace qui jouit d’une forte identité. Elle est focalisée autour des populations des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui ont occupé cet espace dans le passé, et dont les descendants, au sens large, sont souvent encore enracinés dans la région. Elle témoigne, par son intérêt pour les migrations, de l’intense brassage qui a animé cette région, depuis les origines de la ville de Charleville jusqu’à nos jours.
Cette enquête valorise une richesse indépassable : les hommes et les femmes, et les inscrit au cœur du patrimoine urbain et culturel de la ville de Charleville-Mézières. Il nous a donc semblé naturel d’aller au-devant des populations actuelles de la ville de Charleville-Mézières pour partager avec elles les avancées scientifiques de nos travaux. En 2016, pour les journées européennes du patrimoine, nous avons organisé des visites place ducale pour raconter l’histoire de trois maisons et de leurs habitants sur trois siècles. Nous les avons baptisées maison Namuroy, maison Pierquin et maison Jeanteur, du nom d’un de leurs propriétaires historiques.
Cette histoire a pu se reconstituer grâce aux archives. Des extraits d’actes et des images étaient présentés sur des kakemonos devant les entrées et dans les cours de ces trois maisons. Le départ des groupes se faisait dans la cour du Musée de l’Ardenne et suivait un circuit de maison en maison.
Chercheurs participants
Youri
CARBONNIER
Jean-Paul
DESAIVE
Claude
GRIMMER
Vincent
GOURDON
Isabelle
ROBIN
François-Joseph
RUGGIU
Le parcours de la visite
Etape I
Musée de l'Ardenne
Maison Namuroy
La maison Namuroy :
une maison donnée à l’Hôtel-dieu de Mézières
Généalogie de la maison de 1615 à 1795
La maison formant l’angle de la place ducale, avec deux pavillons | 40 place ducale
Les premiers habitants, une famille de protestants venus des Pays-Bas via Sedan
Charles veut peupler sa ville et en développer l’économie. Il fait venir des artisans de toutes sortes comme Philippe de La Place, un batteur de cuivre originaire des Pays-Bas marié à une femme de Liège, qu’il installe dans une maison nouvellement construite de la place. Le prince leur vend la maison avec grange, magasin, cour, jardin le 30 mai 1630 devant Marsoc, notaire.
Philippe et son frère André sont associés avec le beau-frère d’André, Halin de la Saulx, pour créer une batterie de cuivre à Charleville. Les locaux professionnels étaient-ils place ducale ? C’est fort possible si on en croit le plan Mérian et les habitudes anciennes qui voulaient que l’atelier et le domicile soient rassemblés en un même lieu.
La maison reste dans les mains de La Place encore deux générations, puis en 1693 une petite-fille du premier propriétaire vend à un certain Namuroy.
Les Namuroy, père et fils
Melchior Namuroy (ou Namurois), né le 27 janvier 1609 de Jean Namuroy le jeune et Jeanne Hébert, est marchand à Mézières. Avec Jeanne Dorthe, ils ont quatre enfants. Leur fils, François Namurois, est dit dans son acte de mariage « escuyer, seigneur de la Francheville et de Bar les Buzancy, capitaine des chasses de la Principauté d’Arches et Charleville et ancien consul de Charleville » (A.C. Charleville, registre paroissial, 19 février 1729). A 76 ans, il épouse Jeanne Pierquin, sa voisine qui en a 44 (voir maison Pierquin ci-dessous). Elle comme lui ont vécu presque toute leur vie place ducale. Le couple jouit d’une belle aisance. Ils emploient deux ou trois domestiques selon les années, comme nous l’apprennent les recensements. L’appartement est décoré de tapisseries, de tableaux, de miroirs ; ils possèdent une belle argenterie.
Sans enfant, François décide de léguer une grande partie de ses biens, et notamment sa maison de la place ducale, à l’Hôtel-dieu de Mézières. A sa mort en 1743, sa veuve retourne dans sa maison familiale (voir maison Pierquin ci-dessous) et son neveu Melchior Le Feron entame un long procès avec l’Hôtel-dieu de Mézières car il conteste le legs charitable fait par son oncle. Il n’obtient au final que la jouissance de la maison de son vivant . Il meurt lui aussi sans héritier.
Registre de l’Hôtel-dieu de Mézières qui enregistre le legs de François Namuroy en 1748
Transcription :
« Cejourd’hui 28 septembre 1748 les dix heures du matin le bureau de l’hôtel dieu extraordinairement assemblée est comparu M. Melchior Le Feron seigneur de la Francheville et capitaine des chasses de Charleville résidant, lequel a représenté que par l’arrêt rendu en la cour du Parlement de Paris entre luy et les administrateurs du dit hôtel-dieu le 26 juin 1745 il a été fait délivrance au dit hôtel-Dieu de Mézières ente autres choses de deux maisons situées à Charleville sur la place ducale léguées par les testament et codicille du sieur François Namuroy et sir de la Francheville, capitaine des chasses de la principauté d’Arches et de Charleville, et ancien consul de la ville y demeurant du 14 juin 1730 et 7 mars 1741 »
Un revenu pour
l’Hôtel-Dieu et
pour les pauvres de la ville
L’hôpital resté seul propriétaire des deux pavillons entend en tirer des revenus, comme de toutes ses biens immobiliers. Il met la maison en location pour financer l’accueil et les soins des pauvres malades. Toutefois, un des deux pavillons a besoin de réparations : cheminée, huisserie, serrures sont à refaire en 1767.
Les recensements annuels nous montrent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle la succession rapide des locataires, nombreux à se partager les deux pavillons. L’origine de ces personnes (Rethel, Enval, Chimay, etc.) est symptomatique du renouvellement constant par migration de la population urbaine.
Propriété d’un hôpital, la maison est mise aux enchères au moment de la vente des biens nationaux sous la Révolution. Jean Dominé et Charles Joseph Mineur en acquièrent une partie pour la somme de 103 000 livres ; Ambroise Legay-Meurant emporte les enchères de l’autre partie pour 51 000 livres (A.D. Ardennes, Q 178).
Au XIXe siècle, le temps
des cafés, des billards et des maisons de commerce
Au XIXe siècle, les propriétaires se succèdent, désormais certains n’habitant même plus Charleville. Les maisons sont densément occupées par des locataires résidant sur place ou par des activités diverses. Des maisons de commerce s’installent sur la place de plus en plus souvent, tandis que les arcades deviennent le lieu privilégié de la sociabilité urbaine, avec la multiplication des cafés.
Le pavillon qui fait face à la place
Claude Maleotte Adolphe Nestor, marchand de vin en gros, occupe une grande partie du bâtiment tandis que Jeaney, un marchand de grains, loue la remise dans la cour.
Henri Druet, marchand d’avoine, occupe l’écurie, les remises et Laurent Cokeko tient un café et un billard ; un certain Camuzeau, de Rethel, a loué pendant un temps une remise mais elle est actuellement vacante.
L’autre pavillon sur la droite
Le bâtiment appartient à la famille Lecanut-Mineure qui n’y réside pas. Un café occupe le rez-de-chaussée, un cercle littéraire avec un billard se trouve au premier étage, des appartements sont loués au-dessus.
Le pavillon qui fait face à la place
Claude Maleotte Adolphe Nestor, marchand de vin en gros, occupe une grande partie du bâtiment tandis que Jeaney, un marchand de grains, loue la remise dans la cour.
Henri Druet, marchand d’avoine, occupe l’écurie, les remises et Laurent Cokeko tient un café et un billard ; un certain Camuzeau, de Rethel, a loué pendant un temps une remise mais elle est actuellement vacante.
L’autre pavillon sur la droite
Le bâtiment appartient à la famille Lecanut-Mineure qui n’y réside pas. Un café occupe le rez-de-chaussée, un cercle littéraire avec un billard se trouve au premier étage, des appartements sont loués au-dessus.
Le parcours de la visite
Etape II
Maison Namuroy
La maison Pierquin
La maison Pierquin :
des notables aux marchands
Généalogie de la maison de 1666 à 1843
La façade de la maison Pierquin sur la place | 38 place Ducale
La vie de famille des Pierquin
dans la maison de la place ducale
On ne connaît pas les premiers occupants ou propriétaires de la maison. En 1666, Louis Pierquin, fils de Ponce Pierquin et Anne Galopin, avocat, lieutenant des traites, y vit avec son épouse, Alexis Malherbe. Des 14 enfants du couple, seuls cinq parviennent à l’âge adulte, quatre filles et un fils. Lorsque Louis Pierquin meurt le 18 octobre 1704, il est inhumé en bon notable dans l’église, son aînée a alors 27 ans et ses benjamins, des jumeaux, ont 7 ans.
Les quatre sœurs survivantes, Anne, Jeanne, Marie Marguerite et Marie Madeleine, sont restées très liées jusqu’à leur mort. Les aînées, Anne et Jeanne, ont même joint leurs revenus et leur solitude quand elles sont devenues veuves. Les deux sœurs ont cohabité pendant une quinzaine d’année dans la maison familiale. Sur le recensement de 1762, on lit que la dame Mareuil et la dame Namuroy ont aussi deux domestiques (A.C. Charleville, BB 54).
Anne fait de sa sœur Jeanne sa légataire universelle en 1766
Deux ans après sa sœur, Jeanne Pierquin meurt en 1768. Aucune de ces femmes n’a eu d’enfants ayant survécu. Leurs héritiers, les enfants de leur cadette Marie Marguerite, épouse de Rémi François Biguet, ne gardent cependant pas la maison. Elle est vendue dès 1770.
Transcription du rappel du testament d’Anne Pierquin veuve Mareuil, 1766 dans un acte en 1769
« ayant entre autres dispostions institué la dite dame Jeanne Pierquin sa sœur sa légataire universelle de tous les biens meubles acquêts et conquets et de ce que la coutume de Paris lui permettait de lui donner dans ses propres aux charges et conditions portées en dit testamens »
(A.D. Ardennes, 3 E 6/38 14 août 1769)
Thomas Etienne Viot, dernier propriétaire et unique résident de la maison
La maison est encore la propriété d’un notable qui l’occupe entièrement. Viot est un homme très impliqué dans la vie carolopolitaine : il est directeur de la ville et de la police, l’administrateur de l’Hôtel-dieu de 1773 à 1786.
Les héritiers Viot conservent la maison jusque dans les années 1780, mais ils préfèrent la mettre en location. En 1787, elle est occupée par deux ménages, l’un composé de Jacques Lebrun, cabaretier, sa femme, leurs cinq enfants, et l’autre de Maître Frougnut, avocat et notaire, son épouse et leur domestique.
Le pavillon qui fait face à la place
Fin XVIIIe siècle, par le jeu des ventes, la maison se retrouve divisée en plusieurs logements, propriété successivement de Pierre Augustin puis de Pierre La Vallée ; au temps de La Vallée, en 1834, la hiérarchie sociale, comme à Paris, se lit dans l’occupation des étages. Plus on monte dans les étages, plus on trouve des petites gens.
Vers 1843, les filles La Vallée vendent à Gabriel Rémy Jules Balteau, venu de l’Aisne, marchand de toiles. La maison est habitée par son fils Henri Jules Balteau et sa femme Désirée Poncelet, avec leurs deux enfants et leur servante. En 1891, au premier étage vit un rentier de 67 ans, Jean Louis Bouchez, avec sa domestique ; au second, loge un couple avec deux enfants, les Piraux. Lui est employé.
Les descendants des Balteau ont conservé la maison jusqu’à aujourd’hui.
Une maison de marchands
Fin XVIIIe siècle, par le jeu des ventes, la maison se retrouve divisée en plusieurs logements, propriété successivement de Pierre Augustin puis de Pierre La Vallée ; au temps de La Vallée, en 1834, la hiérarchie sociale, comme à Paris, se lit dans l’occupation des étages. Plus on monte dans les étages, plus on trouve des petites gens.
Vers 1843, les filles La Vallée vendent à Gabriel Rémy Jules Balteau, venu de l’Aisne, marchand de toiles. La maison est habitée par son fils Henri Jules Balteau et sa femme Désirée Poncelet, avec leurs deux enfants et leur servante. En 1891, au premier étage vit un rentier de 67 ans, Jean Louis Bouchez, avec sa domestique ; au second, loge un couple avec deux enfants, les Piraux. Lui est employé.
Les descendants des Balteau ont conservé la maison jusqu’à aujourd’hui.
Un marchand et ses locataires en 1834
Au rez-de chaussée vit le propriétaire
Il s’agit de Pierre Vallée dit Lesage, né à Meslay dans le Calvados, marchand de grains. Il dispose d’un magasin au fond de la cour avec grenier, et d’un logement sur la rue comprenant un salon, une boutique qui communique, sur l’arrière, avec la cuisine et des chambres. Dans les années 1830, ses trois enfants sont déjà partis du foyer. Le fils Noël est vélite dans la garde impériale, ses deux filles se sont mariées à Charleville.
Tout le premier étage constitue un seul appartement
Un appartement de trois chambres, salon, cuisine, occupe le premier étage. On est à l’étage dit « noble » dans les immeubles anciens. Il est occupé par des notables et leur famille : en 1834, Victor Provin, rentier, vit là ; il a été remplacé dans les années suivantes par le comte de Roussy puis, en 1841, par un médecin, Nicolas Créquy.
Au deuxième étage logent les gens des classes populaires
Les gens des classes populaires et souvent des personnes seules, chacune dans une unique chambre ou une chambre avec cuisine, vivent au deuxième étage. On trouve ainsi un ouvrier, Armand Parin, un veuf de 79 ans, Alexandre Arminot, employé de commerce.
Le parcours de la visite
Etape III
La maison Pierquin
La maison Jeanteur
La maison Jeanteur :
une vitrine de l’artisanat et du beau commerce
Généalogie de la maison de 1612 à 1888
La maison Jeanteur au coin de la rue Saint Charles et de la place ducale ; à l’origine il n’y avait qu’un pavillon faisant l’encoignure de la rue de la porte de France et de la place, depuis le XVIIIe siècle, l’entrée de la maison est dans la rue (au 6 rue de la République aujourd’hui).
Les frères Leroy, premiers habitants, et hommes du prince
Dès 1612, Charles de Gonzague donne la jouissance de ce pavillon aux frères Pierre et Sébastien Leroy, des armuriers de renom, certainement originaires de Liège. Comme pour Philippe de La Place (maison Namuroy), la venue de ces hommes témoigne de la politique de peuplement de la ville voulue par le prince.
Dans leur atelier à l’enseigne « Le Heaulme », ils fabriquent des piques de bois ferrés, des pistolets, des épées, des armures. Ils fournissent le prince (contrat pour 6000 piques) mais aussi la noblesse, comme Honoré d’Urfé, auteur du célèbre roman l’Astrée, Claude de Salnoue, Gabriel de Goullaine, ou Jehan de Goullaine (voir les contrats passés devant notaires, A.N., MC/ET/LXXIII/281 folio 21 ; MC/ET/CV/323 ; MC/ET/CV/571).
Dans les années 1630, comme de nombreux occupants des pavillons de la place, Sébastien Le Roy achète au prince la maison dont il avait la jouissance. Sur l’acte d’achat, il est désigné comme écuyer, capitaine d’une compagnie de gens de pied dans le Montferrat, commissaire d’artillerie, maître armurier de Mr de Nevers. Il paie 1100 livres. Le contrat est passé devant Maître Richer par le fondé de pouvoir de Charles de Gonzague, le sieur de Mesme (A.N., MC/ET/21/180).
Le Roy meurt en juillet 1639 à 75 ans, non sans avoir fait auparavant son testament où il donne son pavillon à sa femme Barbe Sergent, puis à sa filleule et nièce Barbe Le Roy. Il est enterré dans l’église de Charleville auprès de son frère, Pierre (A.D. Ardennes, E 975, Me Marsoc).
Sa veuve se remarie très vite à un autre armurier, Nicolas Barthélémy, afin d’assurer la continuité de l’entreprise familiale. Elle teste le 6 avril 1640 et meurt le lendemain (A.D. Ardennes, E 975, Me Marsoc), laissant la propriété du pavillon à son nouvel époux.
Les rénovations et les travaux des Barthélemy et de Pierdhouy
En 1687, les trois héritiers Barthélemy que sont Jean Barthélemy, marchand à Donchéry, Renée Barthélemy, sa sœur, Elisabeth Barthélemy, épouse de Thierry Carbon, lieutenant de la maréchaussée de Maubeuge, décident de faire des travaux. La maison menace de s’écrouler. Un devis est établi, il faut démonter la devanture et le retour du pavillon sur la rue Saint Charles et les piliers de soutien. Il faut démolir la grande lucarne, les deux ovales et les deux flamandes de la façade du retour et refaire toute la toiture. Pour cela, on prévoit le réemploi des vieux matériaux. Les travaux d’un montant de 400 livres sont confiés à Nicolas Dentremeuse. Les travaux qui ont débuté le 25 septembre 1687, s’achèvent le 8 juin 1688 (actes passés chez Me Larmoyer, copies à la bibliothèque du Patrimoine à Charenton 81/08/47).
Après cette phase de travaux, Renée Barthélemy habite la maison. Elle est célibataire et est rejointe par sa sœur Elisabeth quand celle-ci perd son époux Thierry Carbon (A.C. Charleville/BB22). La boutique du rez-de-chaussée est louée à un boulanger.
En 1724, Elisabeth Barthélemy, veuve du sieur Carbon, achète un terrain adjacent à la maison, rue Saint Charles, sur lequel sont bâtis deux espèces de chaumières appelées porteries. La vente se fait à condition d’élever d’ici trois ans un bâtiment conforme au dessein du prince fondateur. Les choses en restent là.
Le 29 octobre 1744, le sieur Jean Nicolas Pierdhouy acquiert le pavillon et le terrain aux héritiers Barthélemy et Carbon. Ce nouveau propriétaire est avocat et secrétaire de Mr Coulon, grand maître des eaux et forêt du parlement de Metz ; il est le fils de Charles, conseiller du roi, maître particulier des eaux et forêt de Château Regnaud, président du juge d’appel de Revin. Il a de grands projets d’extension et d’embellissement : il veut faire bâtir sur la parcelle de la rue Saint Charles et faire quelques modifications sur le pavillon sans nuire à la symétrie du plan voulue par Charles de Gonzague au moment de l’édification de la place. Il demande donc une autorisation pour faire ces aménagements.
Demande d’un permis de construire (Archives Chantilly EA2)
Transcription :
1° à faire le nombre de fenêtres et croisées sur la rue St Charles ainsi qu’elles sont figurées
2°à démolir les façades et portique de la chaumière, reconstruire et élever en son lieu et place une porte d’entrée au dit batimens avec un balcon au-dessus.
3° à supprimer les traverses croisées de pierre de taille des fenetres du gros pavillon
4° à faire tels ornements qu’il jugera à propos au dit pavillon soit en sculpture ou autrement »
(Archives Chantilly EA2)
Ce sont ces travaux de 1744-1745 qui vont donner l’allure originale de cette maison. Si l’installation de nouvelles fenêtres sur la rue Saint Charles est faite en tenant compte de l’alignement des ouvertures et de l’uniformité des façades, la porte principale est décalée de la place à la rue. Pierd’houy souhaite faire sculpter le porche. De plus, il veut innover et installer un balcon au-dessus de cette nouvelle porte d’entrée. On a craint que cela ne déplaise aux habitants. Il faut dire qu’il n’y a que deux balcons (sans saillie) dans toute la ville alors et aucun dans les quatre rues débouchant sur la place. Finalement, l’accord est donné pour tout, y compris le balcon. On espère alors que d’autres seront créés dans le même style, dans les autres rues. Pierdhouy mène ce chantier à son terme. Il vit encore dans la maison en 1770.
Promiscuité et renouvellement rapide des habitants : exemple de l’occupation en 1779, 1780 et 1789
La maison appartient alors à Louis Templeux, notaire et avocat.
En 1779, la maison ne compte pas moins de 6 ménages et 21 personnes sur trois niveaux : Louis Templeux, marchand orfèvre et propriétaire, habite avec sa femme et ses trois enfants, Claude Tisset, tanneur, de Charleville, sa femme et son neveu ; Jacques Maucourt, tailleur originaire de Metz, et sa femme ; Jean-Baptiste Clément et sa femme et une pensionnaire de Château lieu ; Albert Bouhon, chirurgien de Charleville, sa femme, leurs trois enfants et un domestique et enfin la dame de Provisy, rentière originaire de Bouillon, avec une domestique.
En 1780, il n’y a plus que 3 foyers et 13 personnes : les Templeux, les Bohon et la dame de Provisy.
En 1789, 14 personnes sont réparties dans 5 ménages : la famille Templeux a désormais cinq enfants de moins de 16 ans et un domestique ; les autres foyers sont constitués de personnes seules ou de couples : la veuve Viot, rentière ; Mme Favreau avec sa nièce ; Mr Faynot et sa femme ; un ouvrier orfèvre. On notera la forte fréquence des femmes vivant seules en ville. L’une des habitantes de 1789 de cette maison habitait auparavant de l’autre côté de la place avec son époux Thomas Étienne Viot. Devenue veuve, elle a déménagé dans un logement plus modeste.
La grande mutation : l’installation d’un magasin de nouveautés
En 1849, la maison perd sa fonction d’habitation pour le propriétaire et ses locataires. Elle devient la succursale d’un magasin de nouveautés installé 6 rue du Palais, A la Petite Jardinière. Les deux associés propriétaires, Edmond Chéruy et Etienne Labbé, baptisent leur nouveau magasin Au coin de Rue. Dans ce genre de commerce particulièrement florissant au XIXe siècle, on vend tout ce qui sert à la toilette des dames. Les deux associés habitent avec leurs familles, trois de leurs commis et une cuisinière dans la rue du Palais.
Le 1er octobre 1888, Arthur Jeanteur rachète le Coin de Rue à la famille Lefevre-Sarrazin. La maison devient une enseigne à elle seule ! Cette maison de nouveautés devient la plus importante de l’Est, offrant le même choix qu’à Paris. Jeanteur applique les méthodes des grands magasins parisiens comme le Bon Marché, les Grands Magasins du Louvre ou La Samaritaine : entrée libre, prix fixes, rotations des collections et des stocks, soldes de fin de saison. Tout un nouveau calendrier commercial se met en place. Il vend aussi des calendriers de fin d’année, des images pour enfants.