Un autre regard
sur le patrimoine : Charleville et le plan Dodet (1724)
Contenu proposé par Youri Carbonnier et Sylvain Rassat
– Mai 2021 –
Charleville d’hier… en 3D
Youri Carbonnier
Chercheur responsable
Pour connaître le visage de Charleville aux XVIIIe et XIXe siècles, on peut bien entendu se promener le nez au vent dans les rues : sauf dans les zones touchées par les bombardements de 1940, le paysage urbain n’a pas beaucoup changé. On peut aussi le vérifier grâce à deux documents exceptionnels qui, à un siècle d’intervalle, offrent une image complète ou partielle de la ville.
Le plus ancien est ce qu’on appelle le « plan Dodet ». Conservé au département des cartes et plans des Archives nationales, à Paris (sous la cote N I Ardennes 1), il est l’œuvre de l’architecte Nicolas Dodet, qui l’a réalisé en 1724 pour le prince de Condé, depuis peu héritier de la ville et de la principauté d’Arches. Un cartouche ouvragé, découpé sur une estampe et mis en couleur, placé dans le coin inférieur gauche, l’affirme clairement : « Plan de Charleville présenté à Son Altesse Ser[é]nis[sime] Monseigneur le Duc par son très humble, très obéissant et très fidèle serviteur, N. Dodet 1724 ». Le mot architecte a été griffonné sous le nom de Dodet. Les trois autres angles sont occupés, en bas, par une rose des vents, et en haut par les armes de Condé et celles de la ville.
Le plan mesure 1,89 mètres sur 1,60, aujourd’hui intégré dans un cadre de bois qui a permis de placer le tout sous un couvercle protecteur de plexiglas. Plus qu’un plan, c’est en réalité une sorte de maquette ou de plan en relief.
Les façades des bâtiments sont représentées en élévation sur des cartons collés perpendiculairement au plan, Comme dans les livres pour enfants, il est possible de les rabattre, ce qui n’a pas été fait depuis bien longtemps sans doute.
Les rues et places sont nommées, de même que les principaux édifices – Palais, P. S. Remy, LHopital, R.P. Capucins, Les R.P. Iesuites, Couvent des Filles du Sépulcre, par exemple – et que la Meuse, placée en bas du plan (qui est donc inversé par rapport à nos habitudes : le nord est en bas). Si le tracé des parcelles, des bâtiments, des cours et des jardins (et même des écuries, avec leurs stalles, près de la porte de Luxembourg) semble globalement exact, bien que simplifié (la ville compose un rectangle à peine entamé par l’angle rentrant que forme la Meuse), il faut être prudent face aux élévations. Elles sont en fait de deux types. Les façades de la plupart des maisons sont dessinées (et colorées) par Dodet et paraissent plutôt fidèles. La place Ducale (avec sa fontaine centrale) permet de s’en assurer et la comparaison avec l’état actuel ou des représentations anciennes valide l’aspect de plusieurs rues.
Les détails sont parfois poussés assez loin : assises de pierre, briques ou murs crépis sont distingués ; les pignons flamands de la rue de Flandre ou les toits en pavillons de la rue Sainte-Catherine sont fidèlement rendus.
En revanche, certains monuments ont été réalisés d’une façon déroutante : Dodet a utilisé des gravures de façades de monuments, découpées dans des recueils d’architecture. C’est particulièrement flagrant pour le palais ducal qui prend ainsi un aspect achevé qu’il n’a jamais eu, avec une chapelle magnifique (qui pourrait bien être celle de la Sorbonne !), surmontée d’un dôme, mais aussi pour la porte de France ou la façade de la chapelle des Jésuites.
Pour autant, l’élévation intérieure de celle-ci, dessinée par Dodet, répond assez bien à ce qu’on sait des églises de la Société de Jésus : une tribune, destinée aux élèves du collège, court tout du long de la façade latérale. Ce n’est en effet pas le moindre intérêt de ce plan que de donner à voir aussi les façades sur cour ou jardin, voire l’intérieur des façades. S’y ajoutent quelques informations inattendues, inscrites à la plume ici ou là, qui désignent les propriétaires et le nombre de foyers : comme « les dames / de la providance / 2 locataires / 6 feus ». Bref, ce magnifique témoignage de Charleville au début du siècle des Lumières, à manier avec précaution, est loin d’avoir livré tous ses enseignements et mérite un étude approfondie que sa taille rend néanmoins difficile.
Méthodes d'aujourd'hui… en 3D
Thibaut Delval
Chef de Division adjoint
Pour la représentation de Charleville en 3D, différentes sources de données ont été utilisées. Cela va de modèles BIM détaillés au niveau de la place Ducale et de la rue Notre-Dame (reconstruits à partir de plan d’époques), à des données SIG (couplées à des données socio-économiques des habitants), en passant par des fonds de cartes des années 1834 et 1796. Ces données ont été converties dans le format 3D Tiles qui existe depuis quelques années maintenant. Il évolue aujourd’hui pour devenir un format standardisé désormais supporté par de nombreux moteurs d’affichages 3D.
Pour le rendu 3D, le CSTB s’est appuyé sur la plate-forme open source « Cesium JS » qui permet de représenter des informations statiques et/ou dynamiques dans leur contexte géographique à l’échelle du globe terrestre.
En cliquant sur la fenêtre ci-dessous, vous parvenez à la maquette 3D de Charleville. Vous trouverez dans l’angle inférieur gauche un dispositif de sélection des différentes modalités de présentation de celle-ci (voir image ci-contre). Vous pourrez ainsi accéder à une représentation 3D de la ville issue du plan Dodet de 1724 (espaces 1, 4, 5, 6), à la reconstitution 3D d’un pavillon de la place Ducale (espace 3), enfin à une reconstruction 3D de la cité s’appuyant sur les données cadastrales de 1834 (espace 2). En cliquant sur les éléments jaunes, vous obtiendrez des informations sur les différentes parcelles du quartier du Saint-Sépulcre et sur leurs habitants respectifs en 1839.