À quel âge se mariait-on aux XVIIIe et XIXe siècles ?
Notice proposée par Cécile Alexandre
– Juin 2022 –
Cette notice est tirée d’un doctorat en cours portant sur les familles carolopolitaines des XVIIIe et XIXe siècles. Dans ce cadre, nous avons reconstruit, pour une vaste période allant de 1740 à 1890, 215 groupes patronymiques, entendus comme des groupes de parenté issus d’un ou plusieurs couples fondateurs mariés entre 1740 et 1779 et dont l’un des conjoints au moins avait un patronyme commençant par les lettres B, G, M, N, P, R ou T. Ces groupes de parents sont composés d’au moins deux générations mariées à Charleville. Ils sont donc constitués de lignées descendantes tant par les hommes que par les femmes. Les branches familiales ou les individus ayant quitté la ville au XIXe siècle sont donc écartés de cette étude.
Les sources utilisées sont principalement les actes de mariage des registres paroissiaux de Charleville, depuis 1740 jusqu’en octobre 1792, puis les actes de mariage de l’état-civil, qui commencent en novembre 1792 dans cette ville.
Durant l’Ancien Régime et les premières années de la Révolution (1740- octobre 1792) : une majorité "tardive"
La majorité matrimoniale, c’est-à-dire l’âge auquel il n’est plus nécessaire d’avoir l’accord des parents pour se marier, est différente pour les hommes et les femmes durant l’Ancien Régime. L’édit d’Henri II de 1556 demandait le consentement des parents jusqu’à 25 ans pour les femmes et 30 ans pour les hommes. Il a été renouvelé par l’ordonnance de Blois en 1579.
Par exemple, Jacques Bataille était mineur à son mariage le 10 janvier 1774, alors qu’il avait 26 ans (il est né le 5 mars 1747). Au contraire, son frère Guillaume, marié le 14 janvier 1775, était majeur car âgé de 33 ans (il était né 29 avril 1741).
Du côté des femmes, nous pouvons voir l’exemple de Marie Elizabeth Bartaut, baptisée le 19 novembre 1720, qui avait 19 ans à son mariage le 19 octobre 1740 : elle était en effet qualifiée de mineure dans son acte de mariage. Marie Jeanne Baudet présente au contraire le cas d’une épouse majeure : baptisée le 27 septembre 1737, elle s’est mariée à 26 ans le 15 mai 1764.
Il faut distinguer cet âge de l’âge nubile : l’Eglise autorisait le mariage à partir de 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons. En réalité, les époux ne se mariaient jamais aussi jeunes.
À Charleville, l’âge au mariage est noté en toutes lettres « majeur(e) » ou « mineur(e) » entre 1740 et 1769 (Fig. 1 et 2). A partir de 1770 apparaissent les âges calendaires (Fig. 3) : c’est pourquoi les pourcentages des mentions « mineurs », « majeures » et « sans mention » dans les figures 1 et 2 n’atteignent pas 100%. Pour l’ensemble des mariages et remariages : la part d’époux mineurs est inférieure à 30 % pour les hommes et 40 % pour les femmes. Pour certains époux, il n’était pas indiqué dans l’acte s’ils étaient mineurs ou majeurs. Il s’agissait alors le plus souvent de remariages ; en effet, dans ce cas, le consentement des parents n’était plus requis et donc le prêtre pouvait se passer de mentionner l’état de minorité ou de majorité du conjoint.
Les âges calendaires entre 1770 et 1789 confirment la plupart des hommes ont environ 28 ans et les femmes 25 ans à leur première union.
Ce trait se retrouve dans le reste de la France. Cet âge « tardif » du mariage, en particulier des femmes, a mené à distinguer ce régime démographique comme propre à l’Europe occidentale. Il est d’une importance cruciale car il entraîne une diminution de la fécondité. L’âge moyen du premier mariage en France au XVIIIe siècle était de 27 à 28 ans pour les hommes et 25 à 26 ans pour les femmes. Charleville suivait donc la tendance générale du Royaume.
À partir de la création de l’état-civil en 1792 et jusqu'à la fin du XIXe siècle
À partir de la création de l’état-civil et de la loi du 20 septembre 1792, le mariage peut être noué à 15 ans pour les garçons et 13 ans pour les filles (âge nubile), tandis que la majorité matrimoniale est fixée à 21 ans pour les deux sexes. Après le coup d’état du 18 Brumaire an VIII et de nombreux débats, la loi du 26 ventôse an XI, promulguée le 6 germinal suivant pour former le Code civil (dit aussi Code Napoléon) en 1804, retarde l’âge nubile : 15 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons. Quant à la majorité matrimoniale, si elle reste à 21 ans pour les filles, elle est repoussée à 25 ans pour les garçons. En cas d’opposition des parents au mariage des mineurs, trois sommations respectueuses doivent être présentées par les époux sur un délai de trois mois (une par mois). Ces sommations sont des actes notariés adressés aux parents ; cette procédure juridique retarde le mariage mais permet de contourner le consentement du ou des parents récalcitrants.
Ce cadre perdure jusqu’au début du XXe siècle : ce n’est qu’en 1907 que la majorité matrimoniale et civile est fixée à 21 ans pour les deux sexes. À partir de 1896, une seule sommation suffit au lieu de trois.
Dans l’ensemble de la France, l’évolution de l’âge moyen au premier mariage diffère selon les hommes et les femmes au XIXe siècle. Côté masculin, après avoir atteint un maximum autour de 29 ans à la fin de l’Ancien Régime, il baisse à 28 ans sous la Révolution et l’Empire, avant de se stabiliser à ce niveau. Côté féminin, l’âge moyen diminue régulièrement durant le siècle suivant, passant de 27 ans à 23,8 ans en 1913. L’écart d’âge se creuse donc aussi progressivement entre le mari et l’épouse au XIXe siècle. D’après Michelle Perrot, les régions où le catholicisme était le plus ancré étaient également celles où l’âge au premier mariage des femmes baisse le moins : par exemple, en Bretagne, au Massif central, au Pays basque, en Savoie ou en Alsace. Ce maintien d’un âge tardif reste une méthode de limitation des naissances.
Charleville ne suit pas complètement le même mouvement qu’à l’échelle nationale. Ainsi, lors de la Révolution et de l’Empire, on observe une hausse de l’âge au mariage : jusqu’en 1809 pour les hommes et jusqu’en 1819 pour les femmes (Fig. 3). En 1800-1809, pour les premiers mariages, les hommes se marient à 28,5 ans en moyenne et les femmes à 24,8 ans.
La réelle rupture semble se produire dans les années 1810 ; c’est alors seulement que s’amorce la baisse de l’âge au premier mariage. Entre 1880 et 1890, les époux se marient pour la première fois à 26,7 ans en moyenne, soit une diminution de presque deux ans depuis 1800-1809. Pour les épouses à leur premier mariage, l’âge a diminué d’environ 1,5 ans, passant de 24,8 à 23,2 ans. À Charleville, la diminution de l’âge des hommes au premier mariage est donc plus forte que la moyenne nationale.
Une sensibilité à la conjoncture politique et économique ?
On remarque une forte hausse des âges durant la décennie 1870-1879 : la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et l’occupation des Ardennes entre septembre 1870 et juillet 1873 ont certainement eu une incidence en freinant la possibilité de se marier à cause du départ des hommes au front, dont une partie n’est d’ailleurs pas revenue. Il est intéressant de noter que les guerres napoléoniennes n’ont pas eu ce même effet clair sur l’âge au mariage des hommes : si la guerre a pu empêcher des mariages, ceux qui se sont conclus ont parfois été au contraire précipités, comme en 1813, de manière à éviter la conscription.
Le poids des cycles économiques n’est pas aisé à repérer. Lors de la crise économique des années 1847-1848, l’âge des hommes au premier mariage est stable, et on n’observe qu’une petite hausse momentanée entre 1850 et 1859, tandis que celui des femmes continue de baisser. Cette crise économique n’a donc pas créé de rupture majeure dans l’évolution de l’âge au mariage.
Quelques années auparavant, la crise de l’emploi qui a frappé Charleville suite à la fermeture de la manufacture d’armes en 1836 ne donne lieu à aucun effet visible dans les courbes. La relation entre l’âge au premier mariage et le contexte politico-économique est rarement direct.
Bibliographie
Cécile Alexandre, Transmissions et cultures familiales : une enquête sur la population de Charleville 1740-1890, thèse en cours sous la direction de Vincent Gourdon, Sorbonne Université.
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