Horizons barrés

Réalités, pratiques et hantises
de la guerre de siège
au XVe siècle

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Laurent VISSIÈRE

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Résumé

Dans le cadre d’une thèse de HdR, sous la direction du professeur Élisabeth Crouzet-Pavan, j’ai entrepris une étude, non seulement militaire et tactique, mais surtout sociale et anthropologique de la guerre de siège au XVe siècle. Il s’agit de comprendre comment vit et survit une population enfermée dans l’espace exigu de son enceinte durant un siège, comment elle se prépare à l’épreuve, comment elle la commémore ensuite. C’est le point de vue des assiégés qui est priviligié.

Extrait carte postale d'Alger

Présentation du projet

Extrait carte postale d'AlgerDans l’historiographie, le siège d’une cité est perçu comme un événement marginal ou, pour reprendre l’expression consacrée, une simple « parenthèse ». Rien ne paraît en effet plus éloigné de l’Histoire avec un grand H que ces quelques semaines, et parfois quelques mois, où une communauté urbaine vit repliée sur elle-même, à l’abri relatif de ses murailles. Mais une fois le danger passé, et même si la place est prise, même si elle est incendiée, la vie reprend en général son cours et la parenthèse militaire se referme – sur le temps long, le siège ne constitue plus qu’une anecdote. Des centaines de villes et de châteaux ont été assiégés à la fin du Moyen Âge et le récit de ces sièges a fait l’objet d’articles et de livres nombreux, et parfois remarquables. Ces travaux monographiques sont utiles, mais ne permettent pas de dégager une vision globale de ce que l’on pourrait appeler le « temps obsidional ».

Des centaines de villes et de châteaux ont été assiégés à la fin du Moyen Âge et le récit de ces sièges a fait l’objet d’articles et de livres nombreux, et parfois remarquables. Ces travaux monographiques sont utiles, mais ne permettent pas de dégager une vision globale de ce que l’on pourrait appeler le « temps obsidional ». J’ai commencé à m’intéresser à ces problèmes en proposant moi-même plusieurs monographies à des villes assiégées, en l’occurrence Thérouanne (« L’éternel gambit : Thérouanne sur l’échiquier européen (1477-1559) », Bulletin de la Commission départementale d’Histoire et d’Archéologie du Pas-de-Calais, t. 18 (2000), p. 61-106), Dijon (1513. L’année terrible. Le siège de Dijon, en collaboration avec Alain Marchandisse et Jonathan Dumont, Dijon, Faton, 2013) et Rhodes (« Tous les deables d’Enfer », Relations du siège de Rhodes par les Ottomans en 1480, en collaboration avec Jean-Bernard de Vaivre, Genève, Droz, 2014).

Une étude sérielle de la question obsidionale implique que l’on puisse traiter d’un ensemble cohérent et continu de sièges. Au lieu de reprendre les bornes traditionnelles de la guerre de Cent Ans, à cheval sur deux siècles, il était intéressant de se consacrer sur une période plus restreinte, limitée au seul XVe siècle, mais fort variée en termes de guerres. Elle comprend en effet les épisodes de la guerre civile des Armagnacs et des Bourguignons, de la guerre anglaise, des guerres bourguignonnes et des guerres de Louis XI.

La période 1410-1483 offre ainsi une séquence à la fois longue, cohérente d’un point de vue politico-militaire, et riche de 154 sièges documentés. Bien que fort longue, cette liste ne prétend pas à l’exhaustivité : on a laissé de côté les sièges de châteaux et certains sièges de villes trop mal documentés. Dans une première partie (six chapitres), ces 154 sièges sont analysés de manière sérielle en utilisant toute la documentation disponible, manuscrite ou imprimée. Une seconde partie synthétise les problèmes obsidionaux du siècle.

Le chapitre 7 est consacré aux questions proprement tactiques et poliorcétiques – en général les seules questions qui intéressent les historiens militaires. Les chapitres 8 et 9 aux problèmes matériels et psychologiques du temps obsidional Les questions matérielles concernent la militarisation d’une société civile : comment organise-t-on le guet et la garde ? Comment mobilise-t-on les femmes, les enfants et les ecclésiastiques ? Comment, dans un confinement extrême, réglemente-t-on la vie quotidienne ? Les problèmes spécifiques de la faim et de la maladie ne sont pas oubliés.

Les questions psychologiques sont avant tout celles de la peur et de l’ennui. Comment trompe-t-on l’ennui interminable des sièges ? Quels sont les jeux, les rituels, les défis, courtois ou non, que l’on pratique ? Les pratiques religieuses sont à la fois troublées et exacerbées, et des phénomènes miraculeux peuvent assez vite intervenir. Le chapitre 10 présente la manière dont le siège s’achève et dont on en garde le souvenir.

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