Édition critique du journal
du président Lefèvre d’Ormesson de Noiseau

(1771-1774)

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Reynald ABAD

Extrait carte postale d'Alger

Résumés

La réforme judiciaire du chancelier Maupeou, mise en œuvre en 1771 avec le soutien de Louis XV et remise en question dès 1774 à l’avènement de Louis XVI, est l’un des épisodes majeurs du XVIIIe siècle français. Conçue pour abattre définitivement la capacité de résistance des parlements face au Conseil du Roi et aux départements ministériels, elle s’est notamment traduite, l’espace de quelques années, par une profonde transformation du parlement de Paris, dont les compétences ont été considérablement amoindries et le personnel totalement renouvelé. Parmi toutes les sources dont disposent les historiens sur ces années brûlantes, l’une d’entre elles est particulièrement précieuse : c’est le journal tenu par Lefèvre d’Ormesson de Noiseau de 1771 à 1774.

Président à mortier au parlement de Paris lorsque le chancelier impose sa réforme, il perd sa charge de magistrat et passe la fin du règne de Louis XV en situation d’observateur, mais d’observateur très bien informé. De ce fait, son journal est aussi volumineux que détaillé, ce qui a d’ailleurs constitué le principal obstacle à sa publication jusqu’à ce jour. Le projet consiste tout simplement à offrir à la communauté scientifique la première édition critique de ce journal inédit, que seuls les spécialistes du parlement de Paris ou de la réforme Maupeou ont consulté, sans d’ailleurs pouvoir en tirer un véritable profit, du fait de son ampleur. Cette publication devrait constituer un apport précieux pour tous les spécialistes d’histoire politique et institutionnelle du XVIIIe siècle français.

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Chancellor Maupeou’s judicial reform, carried out in 1771 with the support of Louis XV and called into question in 1774 with the ascension of Louis XVI to the throne, is one of the major episodes of eighteenth-century France. Designed to demolish definitively the parlements’ capacity to resist the King’s Council and ministerial departments, it notably gave rise, in the space of several years, to a profound transformation of the Parlement of Paris, whose powers were considerably diminished while its personnel was fully renewed. Of all the sources available to historians on these fateful years, one is particularly valuable: the journal kept by Lefèvre d’Ormesson de Noiseau from 1771 to 1774.

Président à mortier at the Parlement of Paris when the Chancellor imposed his reform, he lost his judicial office and spent the end of the reign of Louis XV as an observer, but a very well-informed one. Accordingly, his journal is as lengthy as it is detailed, which has moreover been the primary obstacle to its publication until the present. The project consists quite simply in providing the scholarly community with the first critical edition of this unpublished journal, which specialists of the Parlement of Paris or of the Maupeou reform alone have consulted, moreover without being able to take real advantage of it due to its scope. This publication should be a valuable contribution for all specialists of the political and institutional history of eighteenth-century France.

Extrait carte postale d'Alger

Présentation du projet

Né en 1718 dans l’une des plus prestigieuses familles de robe du royaume, Louis II François-de-Paule Lefèvre d’Ormesson de Noiseau fait toute sa carrière dans la magistrature : il est avocat du roi au Châtelet en 1738 ; avocat général au Grand Conseil, puis au parlement de Paris en 1741 ; président à mortier dans ce même parlement en 1755. Lorsque le premier président Maupeou est appelé à la Chancellerie en 1768 et que le président à mortier d’Aligre lui succède à la tête du Parlement, Lefèvre d’Ormesson de Noiseau se retrouve le plus ancien des neuf présidents à mortier en activité, et sans doute aussi l’un des plus estimés.

Alors que rien n’indique qu’il ait jamais tenu un journal jusqu’alors, à partir du moment où Maupeou attaque frontalement les magistrats du parlement de Paris – ses anciens confrères –, Lefèvre d’Ormesson de Noiseau se met à consigner assidûment les événements politiques auxquels il assiste ou dont il a connaissance.

De manière symbolique, la première entrée de son journal relate sa nuit du 19 au 20 janvier 1771 : cette nuit-là, alors que le Parlement avait cessé ses activités depuis le 15 janvier pour résister à la politique du chancelier, Lefèvre d’Ormesson de Noiseau reçut, comme chacun des magistrats de la cour souveraine, la visite de deux mousquetaires porteur d’une lettre de cachet, par laquelle le roi lui ordonnait de répondre par oui ou par non à la question de savoir s’il acceptait de reprendre son service. Cette nuit, fut, on le sait, une étape cruciale dans l’engrenage des événements qui conduisit, d’abord à l’exil de tous les magistrats de la cour, puis à la réforme complète du parlement de Paris et, au-delà, du système judiciaire français.

De façon moins dramatique, mais tout aussi éloquente, la dernière entrée du journal est datée du 27 septembre 1774 : c’est un mois environ après le renvoi de Maupeou par Louis XVI, et aussi un mois environ avant l’annonce officielle du rappel dans la capitale de tous les membres de l’ancien Parlement exilés par le chancelier, rappel qui sera le prélude à la reconstitution de la cour souveraine dans sa forme originelle. Autrement dit, lorsque Lefèvre d’Ormesson de Noiseau interrompt son journal, la monarchie est définitivement engagée dans la restauration de l’ordre ancien.

Entre ces deux dates, c’est un journal d’une richesse exceptionnelle qui se donne à lire. Cette richesse tient évidemment à l’ampleur de la source : pas loin de 8 millions de signes couchés sur le papier, pour moins de quatre années de chronique ! Mais elle tient surtout à la profusion des informations collectées, l’auteur entrant toujours dans les plus grand détails, tant lorsqu’il narre ou rapporte des faits avérés, que lorsqu’il consigne et jauge des rumeurs invérifiables. Ce sont des milliers d’évenements et des centaines de personnages qui défilent sous sa plume, au fil d’une chronique qui s’apparente aux plus volumineux journaux du XVIIIe siècle, ceux des d’Argenson, Barbier, Luynes, Croÿ, Hardy ou encore Bombelles. Mais il y a davantage, pourtant, que cette richesse. La valeur du journal tient au moins à deux facteurs supplémentaires.

Le premier est l’extrême concentration de l’attention sur le gouvernement monarchique et les cours de justice, de sorte que la chronique présente une cohérence et une précision qui la distinguent de la plupart des autres journaux, dont les auteurs rapportent ou commentent les nouvelles les plus diverses.

Le second est la qualité de l’information dont dispose l’auteur, qui tire pleinement profit du fait que sa famille est partagée entre les deux camps en présence : l’ancien Parlement d’une part, le gouvernement monarchique d’autre part. En effet, à l’aube de l’année 1771, Louis II François-de-Paule est président à mortier, et son fils aîné conseiller au Parlement ; mais son frère aîné, Marie François-de-Paule, et le fils de celui-ci sont respectivement conseiller d’État et maître des requêtes. Or, si le déchirement politique peut produire à l’occasion des tensions familiales, il ne brise pas les liens entre parents, ni la circulation de l’information. Par conséquent, par rapport à la plupart des chroniqueurs de l’Histoire qui ont appartenu à un camp engagé dans un conflit, Lefèvre d’Ormesson de Noiseau présente la singularité de pouvoir accéder, à de maintes occasions, à une vision intérieure des deux camps en présence : il est à la fois celui qui sait les projets de tel ou tel magistrat en exil, et celui qui suit telle ou telle discussion au sein du gouvernement monarchique.

C’est dire tout ce que l’édition critique de son journal peut apporter d’inédit aux spécialistes d’histoire politique et institutionnelle du XVIIIe siècle français. Elle peut aussi conduire à réévaluer la personnalité et les capacités d’un magistrat, qui, certes, accèdera à la première présidence du Parlement en 1788, mais sans pouvoir donner sa pleine mesure, puisqu’il mourra quelques mois à peine après son entrée en fonction.

Extrait carte postale d'Alger