- 1 Le principe d’une organisation d’un appartement d’honneur en anticamera, camera, retrocamera est it (...)
1Dans
l’imaginaire collectif, la salle des gardes d’un château évoque la
salle d’un roi médiéval, remplie d’armes et de soldats. Le terme
« salle des gardes » est pourtant récent, puisqu’on ne le
rencontre pas avant la première moitié du xviie siècle. Jusqu’au xvie siècle
au moins, la première pièce du logis royal dans laquelle on pénètre
après l’escalier est la « salle », vaste pièce polyvalente qui
pouvait accueillir, entre autres, des gardes. L’évolution de cette
pièce fut progressive, et nous serions bien en peine d’en donner une
chronologie précise. Son apparition remonte au règne d’Henri II (regn. 1547-1559),
qui, avec le château du Louvre, fit réaliser les premiers
agrandissements de l’appartement royal avec la création de l’antichambre
sur le modèle italien1. C’est dans la seconde moitié du xvie siècle
que cette salle, par l’usage d’abord, puis par le nom, devint le lieu
ordinaire de service des gardes du corps du roi.
2Cette
pièce, en dépit d’un mobilier et d’un décor souvent modestes, était
pourtant loin d’être un lieu insignifiant pour celui qui évoluait à la
cour. L’ignorance ou l’incompréhension des usages que l’on en faisait
conduisent malheureusement souvent à son évincement dans les études sur
les résidences royales, alors que, paradoxalement, la salle et les
gardes sont souvent évoqués dans le quotidien de la Cour sous
l’Ancien Régime.
- 2 Ou « garde du dedans du Louvre ». Le « Louvre » désigne, par analogie avec la résidence historique (...)
3À
partir du règne de Louis XIV, les gardes du corps font partie de la
Maison militaire du roi, expression désignant les unités militaires
placées sous le commandement direct du souverain. Elle est divisée en
deux grands ensembles : la « garde du dehors » (les
gendarmes, les chevau-légers, les régiments des gardes françaises et
suisses, les mousquetaires et enfin les cent gentilshommes au bec-
de-corbin) et « la garde du dedans2 ».
Cette dernière, qui nous intéresse plus particulièrement ici, comprend,
à partir du règne de Louis XIV (et jusqu’à la fin de
l’Ancien Régime), les quatre compagnies des gardes du corps, les
cent-suisses, les gardes de la prévôté de l’hôtel (ou hoquetons) et les
gardes de la porte (ces deux dernières unités n’utilisant pas la salle
des gardes seront exclues de notre étude). Les gardes du corps, unités
de cavalerie, sont divisés en trois compagnies françaises et une
écossaise. Dans la compagnie écossaise, la plus ancienne et la plus
prestigieuse, vingt-cinq hommes ont le statut d’archers du corps,
appelés par la suite « gardes de la manche ». Ceux-ci, servant
par deux (six aux cérémonies extraordinaires) et armés de leur
pertuisane, encadrent le souverain et ne le quittent jamais des yeux.
Ils se trouvent toujours au plus près du roi, et lorsque celui-ci meurt,
ils continuent à veiller sur son corps et sont les seuls autorisés à le
mettre en bière et à le descendre dans la crypte de Saint-Denis. C’est
l’un d’entre eux qui, chaque soir, ferme le logis du roi avant de
confier les clefs au capitaine en quartier. Ce sont eux encore qui, de 6
heures du soir à 6 heures du matin, remplacent les gardes de la porte
aux portes du Louvre.
4Chaque
compagnie de gardes du corps est commandée par un capitaine des gardes.
Gardes et capitaines servent à la cour par quartier, trois mois dans
l’année. Le guet se divise en deux groupes, celui de jour, qui fournit
la garde du roi et de la famille royale proche, et celui de nuit qui
couche dans les salles des gardes. Les gardes du corps sont chargés
d’escorter le roi en permanence lorsque celui-ci sort de son logis,
leurs mousquets ou fusils armés et prêts à faire feu en cas de
besoin ; le reste du temps ils occupent la ou les salles des
gardes. Les cent-suisses, quant à eux, armés de leurs hallebardes, sont
les gardes ordinaires du roi. Ils surveillent les escaliers et les
cours, se rangent en haie depuis la salle des gardes jusqu’à l’entrée de
la chapelle lorsque le roi se rend à la messe, accompagnent ce dernier
jusqu’au milieu du chœur des grandes églises certains dimanches et
forment une haie d’honneur lors de la réception d’ambassadeurs3.
Ils constituent, pour résumer, un rempart entre l’espace du roi et la
foule, tout autant qu’ils reflètent le prestige du monarque. Douze
d’entre eux rejoignent le guet de nuit dans la salle avec les gardes du
corps, tandis que d’autres sont affectés au service de la reine et du
dauphin. En temps ordinaire, les gardes du corps de la reine et du
dauphin sont également fournis par le roi.
Fig. 1. : Charles Eisen, Garde de la Manche (époque de Louis XV), estampe aquarellée, 33,1 × 20,9 cm. Versailles, château de Versailles et de Trianon, invgravures2045.
Garde de la manche en
grand habit, tenant dans sa main la pertuisane et revêtu du hoqueton
d’orfèvrerie. Cette tenue, une cotte faite d’un riche tissu brodé de
fils de soie, d’or et d’argent, était arborée lors des messes
dominicales et des grands événements.
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
- 4 Daniel 1721, vol. 2, p. 139.
- 5 Louis XIV, Mémoires des choses que je veux être observées dorénavant par les Officiers et Gardes de (...)
5Ces
gardes, pour une grande part issus de la noblesse, sont un corps
d’élite dont les membres sont soigneusement choisis par le souverain4.
Il ne faut donc pas imaginer les salles des gardes peuplées de simples
soldats sans éducation. Leur comportement, et Louis XIV en personne
l’exige, doit au contraire être exemplaire5.
En effet, les gardes du corps sont en contact permanent, non seulement
avec le roi, mais aussi avec tous les grands personnages du royaume
qu’ils sont tenus de connaître ; ils doivent incarner à l’échelle
domestique l’efficacité, la force et la discipline des armées du roi.
6La
« salle » est, depuis le Moyen Âge, un grand espace qui
sert à des usages divers. C’est la plus grande pièce de l’appartement
royal et, dans bien des cas (et cela jusqu’à la fin de
l’Ancien Régime), de la résidence tout entière. Il est attesté qu’à
partir de la seconde moitié du xvie siècle
les archers de la garde (qui deviendront sous Louis XIV les gardes du
corps) s’y tiennent en continu durant leur service, bien qu’elle soit
aussi affectée à d’autres usages.
- 6 « Règlement du 1er janvier 1585 », Bibliothèque nationale de France, ms. nouv. acq. fr. 7225, fo 17 (...)
- 7 Par exemple celui de 1576, Bibliothèque nationale de France, Ms. nouv. acq. fr. 7225, fo 281. Il es (...)
7Pièce
publique par excellence dans l’appartement du Roi, elle est en théorie
ouverte à tous. On note cependant, à travers certains règlements,
quelques exceptions. Dans le règlement de cour du 1er janvier
1585, si toute personne décemment habillée y est admise, les
cent-suisses et les archers du grand prévôt n’ont pas l’autorisation d’y
pénétrer pendant leur service de jour6. On peut voir là un indice de l’apparition de la salle des gardes en tant que telle dans la seconde moitié du xvie siècle.
En effet, si ces deux unités en sont exclues, c’est que la souveraineté
de cet espace revient aux seuls archers de la garde. Elle devient dès
lors « leur » salle. Et bien que le terme « salle des
gardes » ne soit pas employé avant le xviie siècle,
c’est bien l’usage qui est fait progressivement de cette pièce : à
la fois lieu où attendent des gardes et salle leur appartenant d’une
certaine façon. Il est aussi intéressant de noter que parmi les
règlements de cour émis entre 1550 et 1630, l’un des plus repris de
règne en règne est celui concernant les Relations entre le Capitaine et Archers des gardes et le Grand Prevost et ses Archers7. Ce règlement, inauguré sous Henri II et appliqué au moins jusqu’au règne de Louis XIII (regn. 1610-1643),
définit pour chacune des unités leur champ d’intervention respectif
dans la résidence royale et précise la hiérarchie des gardes mise en
place lors des réceptions d’ambassadeurs. Ainsi les archers du grand
prévôt, gardes historiques du logis du roi, se voient relégués dans la
cour, derrière les cent-suisses et les archers de la garde, avec
interdiction de pénétrer dans le logis avec leurs hallebardes et
hoquetons, insignes de leur autorité.
- 8 Besongne 1663, Trabouillet 1702.
- 9 Carnet de la Sabretache 1894, vol. 2, p. 359.
8Si,
en dehors de ces cas particuliers, la salle des gardes est libre
d’accès, tout le monde n’y a pas droit aux mêmes honneurs. Les
règlements de cour énumèrent avec précision la liste des personnes
auxquelles les gardes doivent montrer un respect particulier. Ainsi la
sentinelle ouvre les deux battants de la porte aux personnalités les
plus éminentes (roi, reine, ambassadeurs...) ; à l’entrée de ces
derniers et d’autres « seigneurs de qualité », les gardes du
corps de la salle, sitôt avertis par la sentinelle, se placent sous les
armes8. De
nombreux autres détails de préséance concernent la salle des gardes. Par
exemple, seules les princesses doivent s’y faire porter la robe, et
seuls les pages (et non les valets de pied des princesses) peuvent y
porter des flambeaux9.
- 10 Besongne 1663, p. 147.
- 11 Ibid. p. 140.
- 12 Les suisses de l’intendant (gouverneur) de Versailles étaient chargés de la surveillance du château (...)
9La
salle des gardes n’est jamais vacante, car le logis où se trouve le roi
doit bénéficier d’une protection de jour comme de nuit. Dès 6 heures du
soir, lorsque les gardes écossais s’en vont pour remplacer les gardes
de la porte aux grilles du Louvre, un officier est envoyé dans les
autres salles de la résidence pour appeler le guet de nuit, c’est-à-dire
les gardes de quartier qui vont dormir dans la salle jusqu’au lendemain
matin. En comptant celles destinées aux gardes d’autres membres de la
famille royale et aux officiers, une quarantaine de paillasses environ
se répartissent dans les différentes salles des gardes du château. Des
officiers des cent-suisses désignent également les douze d’entre eux qui
vont dormir avec les gardes du corps dans la salle des gardes,
« afin que si une nation pouvoit estre corrompüe l’autre ne la fut
pas10 ».
Lorsque la Cour s’est retirée entrent « plusieurs Garçons qui
servent les gardes, pour faire leurs lits & acommoder leurs
paillasses, leur aporter le vin du Guét, & les servir à d’autres
necessitez11 ».
Des sentinelles se relaient durant la nuit pour garder la porte de la
salle des gardes et d’autres suisses (ceux de l’intendant12)
font des rondes dans le parc et dorment dans d’autres pièces des
appartements. Le logis où dort le roi est par sécurité complètement
hermétique durant cette période. Le lendemain à 6 heures, les portes du
« Louvre » sont de nouveau ouvertes et les gardes de la porte
reprennent leur poste. Les garçons s’activent à ranger les paillasses
pour que d’autres puissent faire le ménage dans les salles et une
nouvelle journée de service peut commencer.
- 13 Notamment celui du 1er janvier 1585, le Règlement (du roi concernant le service de sa chambre et de (...)
- 14 La nef était depuis le Moyen Âge une pièce d’orfèvrerie sur pied en forme de coque de bateau qui co (...)
10Un
aspect moins évident de cette pièce est son rapport avec le repas
royal. En effet, avant l’apparition de l’antichambre vers le milieu du xvie siècle,
et conformément à la tradition médiévale, les repas ordinaires du roi
se déroulent dans la « salle ». Le souverain se doit de manger
en public et il n’y a alors pas d’endroit mieux adapté dans la
résidence. Henri III (regn. 1574-1589) cependant, dans ses règlements de cour, désigne l’antichambre comme sa salle à manger ordinaire13.
Si la salle des gardes perd momentanément cet usage, des considérations
d’ordre pratique vont lui réattribuer en partie le rôle qu’elle avait
acquis depuis le Moyen Âge : en 1664, Louis XIV, dont la
famille s’était agrandie, demande en raison du manque de place à ce que
l’on transporte sa nef ainsi que la table du buffet dans la salle des
gardes voisine14.
La nef, symbole de la personne royale, y était gardée par deux gardes
de la manche, et les courtisans devaient lui montrer les mêmes respects
qu’au souverain lui-même. Les gardes devaient aussi escorter le
transport des plats depuis les cuisines pour prévenir toute tentative
d’empoisonnement.
- 15 Godefroy 1649, vol. 2, p. 171.
11En
dehors de ces usages ordinaires, la salle des gardes était le théâtre
d’autres activités plus ponctuelles, le plus souvent en raison de ses
vastes dimensions qui en faisaient l’un des rares espaces modulables de
l’appartement du Roi. Des somptueuses festivités aux cérémonies les plus
solennelles, elle était le cadre des grands moments de la vie de la
cour. Elle était souvent utilisée lors de festins exceptionnels mais
aussi pour des bals ou spectacles, car on pouvait y lever les tables à
la fin du repas pour danser ou y installer des machineries de théâtre
pour les ballets. Au Louvre, dès les travaux de l’aile Lescot, on avait
pris l’habitude d’utiliser simultanément pour une même soirée les Salles
basse et haute (respectivement la salle des cent-suisses et la salle
des gardes du roi) qui étaient reliées entre elles par le grand escalier
d’apparat. La Salle haute était généralement utilisée pour le repas et
la Salle basse pour le bal, mais l’inverse était également possible15.
Fig. 2 : Salle des Caryatides du musée du Louvre (vue générale depuis la tribune des Caryatides).
Conçue sous
Henri II comme la salle de bal du Louvre, la Salle basse fut
utilisée en temps ordinaire comme salle des gardes ou salle des suisses.
La voûte actuelle remplaça en 1630 le plafond à poutres et solives
d’origine, qui menaçait ruine depuis le début du xviie siècle.
La Salle haute, officiellement la salle des gardes du roi, se trouvait
juste au-dessus (actuelle salle des Bronzes du musée du Louvre).
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Caroline Rose
- 16 Les cent gentilshommes de la garde (ou « becs-de-corbin ») étaient depuis 1474 la garde rapprochée (...)
- 17 Carnet de la Sabretache 1894, vol. 2, p. 349.
12La salle des gardes était parfois le théâtre d’événements encore plus exceptionnels. En effet, dès le xvie siècle,
elle avait une place importante dans le cérémonial de la réception
d’ambassadeurs. Lors de ces cérémonies qui pouvaient prendre des allures
de fêtes somptueuses, des haies de soldats et de gardes, alignés selon
leur grade, accompagnaient la délégation depuis les abords du château
jusqu’à la salle des gardes. Après la disgrâce des cent gentilshommes16,
les gardes du corps avaient là encore la place d’honneur, dans leur
salle, où ils encadraient sous les armes l’ambassadeur. À partir de
Louis XIII, ce fut le capitaine des gardes, substitut pour ainsi
dire de la personne royale, qui l’accueillait à l’entrée de la salle. Il
était d’ailleurs impératif que l’ambassadeur y fût reçu par le
capitaine et personne d’autre. La sentinelle ne devait pas rester devant
la porte, de crainte que l’ambassadeur ne la prît pour le capitaine,
car « [l’ambassadeur] doit être reçu par le capitaine à la tête de
tous les gardes et que, dans cette occasion, ce qui se présente d’abord
est censé pour les ministres étrangers être la teste17 ».
- 18 Le nombre varie selon les périodes, selon que Judas est compté ou non.
- 19 Aulanier 1957, p. 37.
- 20 Gazette 1661, p. 360. Depuis que la reine Marie-Thérèse s’était installée au premier étage, l’appar (...)
- 21 Dans la Gazette de 1662 (p. 547), il est juste précisé « dans son appartement » ; les appartements (...)
13Dans
la salle des gardes se déroulaient également des événements plus
solennels, tels que la cérémonie du jeudi saint au cours de
laquelle le roi et parfois la reine rejouaient la Cène : ils
offraient à douze ou treize garçons pauvres18
(filles pour la reine) de l’argent ainsi qu’un repas qu’ils servaient
en personne, puis ils leur lavaient les pieds comme l’avait fait le
Christ pour les apôtres. C’était la seule occasion qui réunissait des
gardes du corps et des cent-suisses dans la salle des gardes en journée.
Au Louvre sous Louis XIII, par exemple, cette cérémonie se
déroulait dans la Salle basse19. Le 14 avril 1661, d’après la Gazette,
le roi la fit dans sa salle des gardes (Salle haute), tandis que la
reine mère s’occupait de douze petites filles dans la « salle des
Suisses20 ». La reine l’accomplit également, bien qu’aucun lieu ne soit ici spécifié21.
À Versailles, cette cérémonie se déroulait aussi dans la grande salle
des gardes, le matin pour le roi et l’après-midi pour la reine. Inutile
de préciser que là encore la salle des gardes était choisie pour
l’espace qu’elle offrait. Néanmoins, le fait que chacun accomplisse
cette cérémonie dans sa salle propre montre qu’il était important que
celle-ci se déroule dans le cadre de l’appartement royal.
14Cela
fonctionne aussi pour Versailles, car la grande salle des gardes était
considérée en quelque sorte comme une salle commune à l’appartement du
Roi et de la Reine.
- 22 Barbier 1857-1866, vol. 2, p. 343.
- 23 Par exemple le Lit de justice tenu au parlement à la majorité de Louis XV (22 février 1723) de Nico (...)
- 24 Le « parquet » était l’espace délimité où se trouvaient les participants à la séance, c’est-à-dire (...)
- 25 Le Retable du parlement de Paris, peint au milieu du xve siècle et représentant la Crucifixion, orn (...)
15Les
vastes proportions de la salle des gardes en faisaient un lieu propice à
la réunion d’assemblées nombreuses. C’est ainsi que les lits de justice
eurent lieu, à partir du xviiie siècle,
dans la grande salle des gardes de Versailles. Existant depuis le
Moyen Âge, ces séances exceptionnelles du Parlement où le roi
siègeait en personne étaient réglementées par un cérémonial très
rigoureux. Elles avaient lieu depuis des siècles dans la Grand-Chambre
du parlement de Paris, sur l’île de la Cité, après une messe à la
Sainte-Chapelle. Cependant, afin certainement d’avoir plus de contrôle
sur ses parlementaires, Louis XV décida de les faire venir à
Versailles. Le 3 septembre 173222,
le premier lit de justice versaillais eut ainsi lieu dans la grande
salle des gardes complètement réaménagée sur le modèle de la
Grand-Chambre du parlement parisien. En effet, si l’on compare par
exemple les tableaux des premiers lits de justice de Louis XV au
Parlement23
avec une estampe représentant le plan de celui du 20 septembre 1759
(fig. 3), on remarque que la disposition du mobilier et
l’emplacement des participants sont respectés, excepté – cela
mérite d’être souligné – la place des six gardes de la manche.
Ceux-ci n’ayant normalement pas le droit de poser un pied dans le
« parquet24 »
lors des séances parisiennes se retrouvent à Versailles le long des
bancs des parlementaires. La gravure du lit de justice versaillais
ordonné par Louis XVI le 6 août 1787 (fig. 4) nous offre
une vue d’ensemble de la grande salle des gardes où l’on voit clairement
la reprise des éléments de la salle parisienne, y compris une
Crucifixion accrochée à l’un des murs de la pièce25.
Ce nouvel usage confère à la salle des gardes une forte valeur
symbolique. En transférant le Parlement de Versailles à Paris, au cœur
même du logis du roi, on lui fait comprendre qu’il doit se soumettre à
l’avis du maître des lieux.
Fig. 3 : Martinet, Plan
du lit de justice tenu par le roi Louis XV dans la grande salle
des gardes du corps au château de Versailles, le 20 septembre 1759, estampe, 58,3 × 43,0 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon, inv.grav 942.
Le parquet,
c’est-à-dire l’espace presque carré garni de bancs où s’asseyaient les
participants, est exactement le même que celui installé au parlement de
Paris. Le changement majeur est la présence des six gardes de la manche,
symbolisés ici par des empreintes de pieds.
© Château de Versailles
Fig. 4 : Abraham Girardet père (graveur), Marie-Alexandre Duparc (graveur), Abraham Girardet père (dessinateur), Lit de justice tenu par Louis XVI à Versailles le 6 août 1787, estampe, 26 × 33 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon, inv.grav 888.
Cette estampe offre
une vue exceptionnelle de la grande salle des gardes de Versailles
aménagée spécialement pour cet événement. Le roi est installé sous le
grand dais, avec à ses pieds le dauphin. Les gardes de la manche
tiennent leurs pertuisanes à gauche dans l’allée en diagonale qui sépare
les bancs des parlementaires (voir le plan fig. 3). Les dames sont
dans une tribune près de la porte menant à la salle des gardes de la
reine. Les murs sont revêtus pour l’occasion de tapisseries aux thèmes
bibliques et d’un tableau d’une Crucifixion.
© Château de Versailles
- 26 Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, d’après Quesnel, collection Hennin, Va (...)
- 27 Malherbe 1862-1869, p. 181.
- 28 Le repas servi au défunt est par exemple une invention de la Renaissance, Brown 2002, p. 113.
- 29 Giesey 1987, p. 265.
16La
salle des gardes joue également un rôle dans d’autres moments forts de
la vie monarchique : les funérailles des rois. L’un des exemples
les mieux documentés est celui de l’exposition du corps d’Henri IV
en 1610 dans la Salle basse du Louvre transformée en chapelle ardente.
Dès le lendemain de sa mort, le roi a été embaumé et placé dans la
chambre de parade : le corps était visible les deux premiers jours
puis il fut placé dans un cercueil de plomb recouvert d’un drap d’or
pour y rester trois semaines, le temps de préparer la Salle basse pour
une exposition qui durait onze jours. Si une estampe de la Bibliothèque
nationale d’Isaac Briot montre précisément la disposition du lit et des
deux autels qui l’accompagnent, on ne reconnaît rien en revanche de la
Salle basse26,
représentée ici de manière assez fantaisiste. Durant cette période les
règles de l’étiquette étaient respectées : on dressait une table à
l’heure du souper près du mannequin auquel un véritable repas royal
était servi, comme du vivant du roi27.
Avec la mort d’Henri IV, on assiste ici à la dernière
manifestation d’une tradition médiévale qui s’était perpétuée durant le xvie siècle28
pour être abandonnée au siècle suivant par Louis XIII qui refusa
par humilité le faste des funérailles royales. Dorénavant on
n’exposerait plus l’effigie du souverain dans la salle des gardes ni
ailleurs ; en revanche on continuerait à exposer le cercueil et à
servir des repas, comme ce fut le cas pour Louis XIV, dans une
salle jouxtant le chœur de la basilique Saint-Denis pendant les quarante
jours réglementaires29.
Fig. 5 : Isaac Briot, Le Portraict de tres-hault, tres-puissant, tres-excellent Prince Henry le Grand […], 1610. Paris, Bibliothèque nationale de France.
© BNF
- 30 Monsieur bénéficia au début du Versailles de Louis XIV d’un appartement au rez-de-chaussée dans l’a (...)
- 31 Dangeau 1860, vol. 8, p. 127-128.
17Lorsque
à partir du règne d’Henri II et surtout d’Henri III on
assiste à l’agrandissement significatif de l’appartement royal, et
lorsque au xviie siècle
la « salle » prend le nom de « salle des gardes »,
la dimension sociale de cette dernière est encore plus marquée. Cette
longue enfilade constituera désormais un élément essentiel de
l’étiquette royale. Les princes et grands du royaume disposaient eux
aussi d’une garde personnelle et pouvaient avoir dans leur propre
résidence une salle des gardes sur le modèle de celle du roi. En
revanche, disposer d’une salle des gardes à l’intérieur même d’une
résidence royale relevait d’un grand privilège, ne serait-ce qu’en
raison de l’autorité des gardes du corps du roi sur les autres gardes,
comme nous l’avons vu. En outre, cela dépendait de l’espace disponible
et des possibilités d’aménagement au sein de la résidence. On trouvait
en général au moins une salle pour le roi, la reine, la reine mère le
cas échéant, et le dauphin. À Versailles, résidence de cour par
excellence de Louis XIV à Louis XVI, on note parfois quelques
exceptions. Ainsi ce privilège fut-il par exemple accordé par
Louis XIV à son frère30, puis au fils de ce dernier, le duc d’Orléans, à la mort de Monsieur31.
Nous pouvons également citer le cas de la dauphine. En tant normal, la
dauphine était logée dans un appartement à proximité de celui de son
époux, dont la taille varia entre le xviie et le xviiie siècle.
Même lorsque l’appartement était grand, il ne comportait pas de salle
des gardes, contrairement à celui du dauphin. Cependant, lorsque qu’il
n’y eut plus de reine à la cour, comme après le décès de Marie-Thérèse
d’Autriche, la dauphine obtint le droit d’être logée dans l’appartement
de cette dernière laissé vacant, comprenant alors une salle des gardes.
En tant que reine en puissance, l’étiquette de la souveraine lui était
imposée, ainsi que les gardes qui lui étaient traditionnellement
dévolus. En dehors de ces cas exceptionnels, la jouissance d’une salle
des gardes dans une résidence royale demeura limitée et codifiée.
- 32 Certains meubles se retrouvent d’ailleurs dans les deux inventaires au même endroit ; voir les inve (...)
- 33 AN O1 3397, distribution des meubles de Fontainebleau de 1786.
- 34 Par le duc d’Orléans et par souci d’égalité de rang avec la duchesse de Berry qui voulut avoir un c (...)
- 35 AN O1 3387 et AN O1 3390, inventaires du château de Compiègne de 1787 et 1791.
18Néanmoins,
sous le règne de Louis XVI, les inventaires révèlent une véritable
multiplication des salles des gardes au sein des appartements de la
famille royale, témoignant peut-être d’un certain relâchement de
l’étiquette. En dehors du roi, de la reine, du dauphin et de Monsieur,
Madame (depuis la Régence) en a désormais une, de même que le comte
d’Artois et son épouse. Si pour le second frère du roi cela n’est pas
particulièrement exceptionnel, étant donné que cela faisait plusieurs
règnes qu’un roi n’avait pas eu deux frères vivants en même temps, le
cas des appartements de la comtesse d’Artois est en revanche
intéressant. Par exemple, à Versailles, nous relevons la présence d’une
salle des gardes dans ses appartements en 1787 alors que l’inventaire de
1776 le fait commencer par une antichambre32.
Il semble donc qu’entre cette date et au moins 1786 (date de
l’inventaire du château de Fontainebleau où sa salle des gardes apparaît
pour la première fois) la comtesse se soit vu octroyer le droit de
disposer d’une salle des gardes dans les résidences royales33. Peut-être, comme Madame depuis 171534,
s’était-elle fait offrir une compagnie de gardes par son mari et
souhaitait-elle afficher ce nouveau privilège ? Cependant,
l’apparition d’une salle des gardes dans l’appartement de la comtesse ne
constitue pas pour autant un agrandissement de ce dernier. À Versailles
comme ailleurs, elle change simplement le nom de sa première
antichambre. Cette nouveauté ne dut pas passer inaperçue aux yeux des
autres princesses de la cour, car, bien qu’elle n’en ait jamais eu nulle
part, Madame Victoire obtint une salle des gardes au château de
Compiègne35. Là
aussi cette pièce devait certainement remplacer une ancienne première
antichambre, car elle n’en possédait plus qu’une seule.
19Dans
les résidences royales, la salle des gardes était donc une marque de
prestige recherchée et réservée à la famille royale au sens restreint.
Sa présence à l’entrée d’un appartement révélait sans nul doute la place
éminente de son propriétaire à la cour.
20Considérant
ce que nous avons dit plus haut, il paraît intéressant de noter que
certaines résidences royales sont intentionnellement dépourvues de
salles des gardes. Au xviie siècle,
alors que le grand appartement officiel canonique est bien établi, des
châteaux au caractère plus intime, à la différence des châteaux de cour,
semblent faire entorse à la règle. Si l’on regarde les appartements
royaux de Trianon, Marly ou Bellevue, on ne trouve nulle part dans
l’enfilade de salle des gardes. Pourtant, si l’on s’arrête sur le nombre
de pièces, ces logis ont les bonnes proportions pour un appartement
canonique. Seulement, la première salle qui précède les antichambres
porte plutôt le nom de « salon » et a une fonction différente
de la salle des gardes qu’elle remplace. On remarque cette particularité
dans toutes les résidences dont l’accès était réservé à un nombre plus
restreint de courtisans, qu’il s’agisse de châteaux de plaisance ou de
pavillons de chasse, d’où la politique était ordinairement exclue.
Toutefois, pour certaines d’entre elles, le terme « salle des
gardes » n’était absent ni des plans, ni des inventaires. Mais en
réalité ces pièces appelées « salles des gardes » n’en étaient
pas au sens où nous l’entendons. Le premier indice qui l’atteste est
leur emplacement. Ces salles étaient toujours situées dans les communs,
souvent loin de l’appartement royal, près des cuisines ou parmi d’autres
pièces réservées aux serviteurs ; leur fonction n’avait donc pas
grand-chose à voir avec le rôle cérémoniel qu’elles avaient par ailleurs
dans les résidences de cour.
- 36 AN O1 3380.
- 37 Nous rappelons que le couchage des gardes du guet est rangé au matin, et de plus c’est un couchage (...)
- 38 Nous y trouvons
entre autres « une table de trictrac », « un
billard » et « une table de try », AN (...)
21Le mobilier de ces salles témoigne également de cette différence d’utilisation. Dans l’inventaire de 1764 du château de Choisy36, par exemple, figurent des tables, lits, paillasses, couvertures37 et… une table de trictrac. Un mobilier similaire est présent dans « la salle des gardes » du château de Bellevue38.
Ces indications prouvent donc que ces salles étaient en réalité ce que
nous appellerions plutôt des « corps de garde », des lieux où
les gardes mangeaient, dormaient et jouaient lorsqu’ils n’étaient pas en
service, c’est-à-dire le contraire d’un lieu de travail dans la
résidence du roi. Si le terme « corps de garde » existe, il
semble plutôt employé pour désigner les quartiers des soldats, comme
ceux des régiments des gardes françaises et suisses, par exemple.
L’absence de salle des gardes ne signifie pas que les gardes en fonction
étaient absents de ces résidences ; ils servaient le roi comme à
l’ordinaire, peut-être d’une façon plus discrète, mais sans le rôle de
représentation qu’ils avaient dans les salles des résidences de cour.
22En
résumé, si le roi a toujours besoin de ses gardes, ceux-ci n’ont en
revanche pas besoin de la salle pour effectuer leur tâche. La salle des
gardes est donc une pièce exclusivement réservée aux résidences où le
roi est en représentation publique. Elle est liée à l’étiquette de la
cour et devient donc inutile dans les lieux où cette dernière est
absente. Quant à la « salle des gardes » de Marly, son rôle
est légèrement à nuancer ; si elle ne se trouve pas à proximité de
l’appartement royal mais dans un tout autre bâtiment, elle n’est pas
pour autant reléguée dans les communs, comme le sont en ce lieu les
corps de gardes français et suisses, par exemple. Elle constitue en fait
le rez-de-chaussée du pavillon nord de l’édifice en arc de cercle qui
encadre l’entrée du domaine. Même si l’on ne traverse pas cette salle
pour entrer dans le pavillon, les gardes présents peuvent néanmoins
surveiller toute entrée et sortie du domaine. La salle de Marly se
rapprocherait ainsi plutôt du type de la salle des gardes du
rez-de-chaussée de Versailles située à l’entrée de l’appartement
intérieur du Roi, dont nous allons parler plus loin.
- 39 Coüard 1906, p. 210.
- 40 Maral 1997, p. 175.
23Dans
les résidences de cour, la salle des gardes officielles – comme
celle de l’appartement du Roi ou de la Reine – se trouve
généralement au tout début de l’appartement, comme l’était la salle du xvie siècle,
après l’escalier d’honneur. Prenons comme exemple les salles des gardes
du château de Versailles. Le logis royal du simple pavillon de chasse
de Louis XIII de 1623 ne possède que quatre pièces : une
salle, une garde-robe, une chambre et un cabinet, situés
vraisemblablement dans l’aile ouest39.
Avec la construction de l’enveloppe Le Vau à partir de 1668,
Louis XIV a pour projet de faire construire de véritables
appartements royaux qui seront appelés « Grands
Appartements ». Ces pièces, dont les travaux de décoration
débutèrent en 1671, reprennent néanmoins l’implantation précédente, à
savoir le roi au nord et la reine au sud. Les deux appartements, placés
au premier étage juste après un grand escalier, sont d’abord conçus de
façon quasi symétrique. Sept pièces pour celui du roi : un
vestibule ouvrant sur une salle des gardes, une antichambre, une grande
chambre, un grand cabinet, une petite chambre et un petit cabinet.
L’appartement de la Reine commence directement avec une salle des
gardes, juste après la petite chapelle du château à deux étages
installée à partir de 167040.
Chaque pièce est dédiée à une planète et c’est donc naturellement que
les salles des gardes des deux appartements royaux reçoivent le
patronage du dieu Mars.
- 41 Luynes 1860, vol. 1, p. 228. Voir la note du duc de Luynes concernant cette salle.
24Ces
deux salles rectangulaires sont les plus vastes des appartements,
respectant en cela les proportions traditionnelles, la salle des gardes
étant depuis le xvie siècle
la plus grande pièce de l’appartement. Cette organisation idéale sera
cependant de courte durée. La première modification majeure concerne la
salle des gardes de la reine. À partir de 1672, la chapelle, trop petite
et considérée par ailleurs comme provisoire, est déplacée vers l’est
dans un espace plus grand (l’actuelle salle du Sacre). Ce qui était la
tribune de la première chapelle restera une pièce sans attribution
particulière jusqu’à ce que la salle des gardes de la reine soit aussi
décalée d’un cran, à la place de la chapelle de 1670. La salle des
gardes originelle, décorée sur le thème de Mars et à peine terminée,
prend alors la fonction de première antichambre où mange la reine
(antichambre du Grand Couvert). La nouvelle salle des gardes, aux
proportions presque carrées, communique au nord avec l’escalier de la
Reine, et à l’est avec la tribune de la nouvelle chapelle. Cependant,
l’installation de la Cour à Versailles en 1682 nécessite encore une fois
le déplacement de la chapelle, peu pratique d’accès, vers l’aile nord.
Un plancher fut construit au niveau de l’ancienne tribune et le vaste
espace ainsi créé devint une grande salle des gardes à laquelle on
pouvait accéder directement par l’escalier. Cette dernière, aux
dimensions importantes, véritable carrefour entre les appartements
royaux et l’aile du Midi, était une sorte de salle commune à la reine et
au roi, dont l’appartement d’usage commençait désormais en haut de
l’escalier de la Reine. Elle suppléait ainsi aux modestes proportions
des autres salles des gardes, sans parler de sa fonction annexe de
« magasin », terme ordinairement utilisé pour désigner cette
pièce41.
- 42 Félibien des Avaux 1703, p. 131.
25Quant
au roi, jusqu’en 1683, son unique salle des gardes officielles reste le
salon de Mars. L’installation de la Cour en 1682 est suivie l’année
d’après par la mort de la reine Marie-Thérèse. Dans ces circonstances,
Louis XIV, qui en réalité avait déjà délaissé le Grand Appartement
pour son habitation quotidienne, se fait aménager un autre appartement,
plus commode, donnant sur le fond et le côté sud de la cour de Marbre,
et empiétant ainsi sur une partie de l’appartement intérieur de la
Reine. On y accède par l’escalier de la Reine refait en 1680, qui,
ouvrant déjà sur deux salles des gardes (fig. 6, S et GS), rejoint
désormais la salle des gardes du roi (fig. 6, S) par
l’intermédiaire d’un vestibule (fig. 6, V) – qui sera
transformé en loggia en 1701 par le percement du mur vis-à-vis les
fenêtres –, ce dernier desservant également l’appartement de Mme de Maintenon
à l’est. Cette salle des gardes, aux proportions avoisinant celles du
salon de Mars (fig. 6, IV), précède une première antichambre
légèrement plus petite, où le roi mangeait d’ordinaire (fig. 6,
Roi-A1). Quant au Grand Appartement (fig. 6, I à VI) auquel on
accède par le grand escalier dit des Ambassadeurs (détruit en 1752), il
ne sert plus que pour les cérémonies officielles, les fêtes ou les
soirées d’appartement en été. Dès l’installation du roi dans son nouvel
appartement, le salon de Mars perd sa fonction de salle des gardes pour
devenir « salon » ou « salle de bal », comme en
témoignent les tribunes des musiciens aménagées en 1684 dans le mur
sud. Cependant, dans les esprits, cette pièce reste encore
symboliquement la salle des gardes de l’appartement officiel, puisque
Félibien dans sa Description de Versailles en 1703 la désigne encore sous le terme de « salle des gardes42 ».
Fig. 6 : Plan du premier étage du château de Versailles des années 1750. Paris, Archives nationales, O1 17662.
Grand appartement de la Reine et petit appartement du Roi : Es = Escalier de la Reine ; GS = Grande salle des gardes ; V = Vestibule ; S = Salle des gardes ; A1 = Antichambre du Grand Couvert ; A = Seconde antichambre, Ch = Chambre ; Cs = Cabinet du Conseil, P = Salon de la Paix ; GG = Galerie des Glaces ; G = Salon de la Guerre. Grand appartement du Roi : I = Salon de l’Abondance ; II = Salon de Vénus (vestibule) ; III = Salon de Diane (vestibule) ; IV = Salon de Mars (salle de bal) ; V = Salon de Mercure (salle du lit) ; VI = Salon d’Apollon (salle du Trône). L’escalier des Ambassadeurs a ici déjà disparu.
© Marina Viallon
26Une
autre salle des gardes, appelée « petite salle des gardes du
roi », se trouvait également au rez-de-chaussée sur la droite,
juste avant l’escalier menant au petit appartement du Roi dans l’aile
nord de la cour de Marbre. Ce cas est assez exceptionnel, car pour la
même raison qu’il n’existe pas de salle des gardes dans les résidences à
caractère intime, les appartements privés du roi, qui échappaient à
l’étiquette, n’en avaient nul besoin. Cependant la présence de cet
escalier conduisant directement à la cour de Marbre entraînait la mise
en place de certaines mesures de sécurité. Cette petite salle des gardes
n’appartient donc pas vraiment à l’appartement du Roi mais elle est,
comme à Marly, placée à un point de passage stratégique.
- 43 Cinq en tout, jamais vraiment achevés ; ils seront finalement supprimés lors des restaurations d’Eu (...)
27Lorsqu’aux xviie et xviiie siècles
il fallut modifier l’agencement de certaines résidences plus anciennes
pour l’adapter à la nouvelle étiquette, il est intéressant de noter la
place donnée à la salle des gardes dans ces remaniements souvent
délicats. Dans le cas du château de Saint-Germain-en-Laye, par exemple,
il faut imaginer les logis du roi et de la reine, vers 1550, n’occupant à
eux deux qu’à peine un tiers du second étage. À cette période, les deux
pièces principales sont la salle et la chambre, auxquelles s’ajoutent
une garde-robe et un cabinet, tous deux de taille modeste. Un plan des
environs de 1670 indique la nouvelle distribution des logis royaux, qui
tentent, malgré l’espace exigu, de répondre aux impératifs de
l’étiquette d’un château de cour. Si l’appartement de la Reine a été
entièrement inversé et recloisonné pour augmenter le nombre de pièces,
du côté du roi ce sont principalement les espaces privés qui ont été
modifiés, la salle du xvie siècle
conservant ses proportions d’origine. Il faut noter que seule la salle
des gardes de la reine eut à souffrir de ces amputations. Chez le roi,
on a préféré réduire les espaces privés plutôt que de raccourcir la
grande salle des gardes, marque de prestige public. Le problème de
l’étroitesse des appartements royaux fut tout de même résolu par Jules
Hardouin-Mansart entre 1682 et 1688 qui décida d’agrandir l’édifice par
l’ajout de nouveaux pavillons à chacun des angles du château43.
Cependant là encore la salle des gardes du roi ne fut pas touchée, mais
le nouveau pavillon du côté de l’appartement de la Reine permit à la
souveraine d’obtenir des pièces et un escalier de dimensions plus
honorables.
Fig. 7 : Plan du second étage du château de Saint-Germain-en-Laye après les travaux de Jules Hardouin-Mansart, début du xviiie siècle. Paris, Archives nationales, O1 1721.
Appartement de la Reine :
A = Salle des gardes ; B = Première antichambre ;
C = Seconde antichambre ; D = Antichambre ou grand
cabinet ? ; E = Chambre. Appartement du Roi : 1 = Salle des gardes ; 2 = Antichambre ; 3 = Chambre ; 4 = Cabinet. Appartement du dauphin :
I = Salle des gardes ; II = Antichambre ;
III = Chambre ; IV = Petite chambre ; Da = Appartement de la dauphine. Noter les tables dans les salles des gardes des deux souverains.
© Marina Viallon
28Généralement,
la salle des gardes n’est pas la pièce la plus décorée des résidences
royales. Pourtant, dans certains cas, un décor parfois important a
existé ou existe toujours. Au xvie siècle,
comme la plupart des autres pièces des appartements royaux, les salles
sont ornées de tapisseries qui suivent la Cour encore essentiellement
nomade. Il est possible également que les plafonds d’origine à poutres
et solives des deux salles du Louvre aient reçu une décoration peinte,
ou du moins dorée44, mais rien n’est sûr, d’autant que les quelques représentations que nous possédons de ces salles au xvie siècle semblent assez fantaisistes.
29Le
cas le plus pertinent pour parler du grand décor dans la salle des
gardes est sans conteste celui du château de Versailles. Le chantier des
grands appartements du Roi et de la Reine, entamé à partir de 1671, est
l’opportunité pour le peintre Charles Le Brun et les membres de la
Petite Académie de concevoir pour toute la longueur des enfilades un
programme décoratif cohérent, dans lequel la salle des gardes est loin
d’être rejetée. Les salles des gardes des deux appartements royaux sont
placées sous le vocable de Mars, le dieu de la Guerre. À cette époque,
où le terme de « salle des gardes » est entré définitivement
dans les usages, révélant ainsi la spécialisation d’autant plus poussée
de cet espace, on est loin d’avoir le décor d’une simple salle de
service : en effet, la pièce faisait partie intégrante d’un
programme déclinant l’image et les vertus des souverains.
Malheureusement, cette heure de gloire dans le décor des salles des
gardes fut de courte durée. En effet, le déplacement de la chapelle vers
l’est en 1672, comme nous l’avons déjà évoqué, eut pour conséquence de
décaler la salle des gardes de la reine et de supprimer les dernières
pièces pour laisser place à la galerie des Glaces et à ses deux salons45.
Chez la reine, le décor militaire élaboré de la salle des gardes, qui
n’a jamais servi comme telle, sert désormais de cadre à une antichambre,
tandis que l’ancienne tribune de la chapelle devenue nouvelle salle des
gardes attend un nouveau décor. Seulement on ne cherche pas pour cet
espace à élaborer un quelconque programme iconographique ; on se
contente, dans un souci d’économie, de réutiliser certaines parties des
cabinets détruits du grand appartement du Roi, notamment les peintures
du salon de Jupiter.
Fig. 8 : Antichambre du Grand Couvert de la reine au château de Versailles.
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / J. Derenne
- 46 AN O1 3453, inventaire du château de Versailles en 1740.
- 47 S’il n’a pas été modifié, c’est peut-être tout ce qui reste de l’ancienne salle des gardes dans le (...)
30La
grande salle des gardes, quant à elle, ne fit jamais l’objet d’un
programme décoratif particulier. Le haut plafond à voussures fut laissé
blanc et la gravure du lit de justice de 1787 montre des murs simplement
garnis de boiseries, tandis que les inventaires évoquent en temps
ordinaire des tentures de cuir doré46. Un simple entablement, supporté par des consoles à volutes, occupe la base des plafonds47.
Véritable pièce carrefour entre l’appartement de la Reine, le petit
appartement du Roi et l’aile du Midi, la salle sert également à
entreposer les chaises à porteurs des courtisans qui n’étaient pas
admises plus loin dans les appartements ; on n’avait par conséquent
pas jugé nécessaire de la décorer avec magnificence.
31La
salle des gardes du grand appartement du Roi subit un sort presque
analogue à celle de la reine. La création du Petit Appartement autour de
la cour de Marbre retirait définitivement à l’enfilade des planètes sa
fonction d’habitation. Les gardes du corps n’avaient donc plus aucune
raison de s’y tenir en permanence et, palliant l’absence de grande
salle, le salon de Mars fut dès 1684 converti en « salle » ou
« salon » de bal. Pour cela une tribune de musiciens fut
ouverte dans le mur sud. Ainsi la Cour était-elle à peine installée à
Versailles qu’aucune des deux belles salles des gardes originelles, dont
le décor avait été soigneusement pensé, ne subsistait dans sa fonction
première.
- 48 Delaplanche 2006, p. 25.
- 49 Payée à l’artiste le 15 avril 1685 ; ibid., p. 191.
- 50 Les gardes en service étaient les seuls à porter constamment un uniforme à la cour ; ils étaient do (...)
32La
nouvelle salle des gardes du petit appartement du Roi témoignait d’un
goût radicalement différent. Conçue en parallèle de l’antichambre du
Grand Couvert qui la suivait immédiatement, son décor était très
similaire à cette dernière. Les murs, d’une grande sobriété, étaient
recouverts de lambris blancs rehaussés de liserés d’or. On abandonna au
plafond le principe italien des quadri riportati des Grands
Appartements et de la galerie des Glaces pour un simple plafond à
voussures peint en blanc. Les quelques ornements en relief – dont
certains étaient dorés – se situaient au niveau de l’entablement.
Les murs de l’antichambre en revanche, là encore dans un souci de
progression dans le décor, reçurent dix toiles quand la salle des gardes
n’en obtint qu’une48.
Les œuvres des deux pièces (en dehors d’une toile de Guillaume Courtois
pour l’antichambre) furent réalisées par Joseph Parrocel entre 1685 et
1688 et eurent toutes pour sujet des batailles. La toile exécutée pour
la salle des gardes, la Bataille où paraissent les gardes du corps du roi49,
fut placée au-dessus de la grande cheminée de marbre rouge. Pourquoi
tout à coup une si grande sobriété ? Il semble qu’à Versailles la
multiplication des salles des gardes ait également eu pour effet de
diviser certaines des fonctions. Lors de grandes occasions officielles,
comme la réception d’ambassadeurs ou de souverains étrangers, c’était le
Grand Appartement qui était utilisé. Pour les événements se déroulant
habituellement dans une salle des gardes pour des raisons de place,
comme la Cène par exemple, on préféra s’installer dans la grande salle
des gardes, plus spacieuse et pouvant contenir le large public assistant
à ces cérémonies officielles. En définitive, la salle des gardes du
Petit Appartement fut surtout utilisée par les gardes, que l’on n’avait
nul besoin d’impressionner ; le roi, lui, ne faisait qu’y passer.
Quant à l’iconographie, il est intéressant de noter que ce furent
désormais les premiers utilisateurs de la salle, les gardes du corps
eux-mêmes, qui furent mis en avant dans le tableau de Parrocel. Si
l’équipement de leurs adversaires était tout à fait fantaisiste et
n’évoquait aucune nation précise, on ne pouvait manquer les uniformes
bleus des gardes du corps, et faire ainsi le lien avec les vrais gardes
se tenant dans la pièce50.
Ici, la puissance du roi militaire était évoquée non plus à travers les
dieux ou les héros, mais à travers ceux qui en étaient la réelle
incarnation et qui la représentaient au quotidien dans les couloirs de
Versailles.
33Quant
aux autres salles des gardes du château, nous ne connaissons pas leur
décor d’origine, mais ils devaient être simples et usuels, car ils n’ont
pas retenu l’attention de leurs contemporains.
Fig. 9 : Salle des gardes du roi au château de Versailles.
© Château de Versailles
- 51 Vallaud 2006, p. 63. La peinture actuelle, réalisée dans les années 1960, décline les blancs du gri (...)
34Le seul grand décor de salle des gardes qui fut à notre connaissance entrepris dans une résidence royale au xviiie siècle
est celui de la grande salle des gardes du château de Compiègne, dont
les travaux ont commencé en 1783. Précédée d’un escalier monumental,
cette salle tout en longueur dessert, par l’intermédiaire de la grande
antichambre qui suit, les deux appartements du couple royal. Le décor,
très élaboré, est de style néo-classique. Sur trois côtés, des pilastres
encadrent une série de bas-reliefs sur le thème de l’histoire
d’Alexandre, référence implicite aux succès militaires français pendant
la guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique (1775-1783). Nous
retrouvons également cette allusion dans les grands groupes de deux
figures placés au-dessus des portes des petits côtés et encadrant un tondo
qui contenait autrefois les chiffres du roi et de la reine. Des
peintures en grisaille évoquant des trophées d’armes, disparues au xixe siècle,
garnissaient le plafond et les ébrasements des fenêtres, nuançant
quelque peu le blanc couvrant de ce décor à la simplicité feinte51.
Un peu plus d’un siècle après le salon de Mars, le goût du temps mis à
part, un tel déploiement dans une salle des gardes relevait sans
conteste de l’inspiration versaillaise. Nous ignorons comment
s’organisait la vie dans cette salle des gardes commune aux appartements
du Roi et de la Reine, et si ce retour à une grande salle monumentale,
en tête des appartements, a entraîné des particularités d’usage. En
effet, les événements de la Révolution firent que le couple royal ne
profita pas de ses nouveaux appartements compiégnois, et la salle des
gardes ne servit jamais à ce pour quoi elle avait été créée. De plus,
seule salle des gardes royale décorée à cette période, précédant de peu
la chute de la monarchie, on ne sait si elle aurait constitué un unicum ou le premier exemple d’un renouveau iconographique.
Fig. 10 : Vue générale de la grande salle des gardes du château de Compiègne.
Réalisée entre 1783
et 1785 par Louis Le Dreux de La Châtre, elle témoigne du
retour du grand décor dans les salles des gardes. On y accède par un
grand escalier monumental ; la porte du fond visible ici conduit à
la chapelle, l’autre, à l’opposé, aux appartements du Roi et de la
Reine.
© RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet.
- 52 Chatenet 2002, p. 146.
35La
salle des gardes était une pièce peu meublée au regard de l’appartement
royal, et ce en raison des usages que l’on en faisait. Au xvie siècle,
le mobilier courant allait surtout de pair avec sa fonction de salle à
manger du roi. Ainsi y trouvait-on des tables, des bancs, des escabelles
(petits tabourets), des tréteaux et des buffets, dont on ignore s’ils
étaient toujours stockés dans la salle ou apportés pour l’occasion52.
Le mobilier de la salle variait de ce fait en fonction des événements
qui s’y déroulaient. Grâce à des inventaires détaillés, nous sommes
beaucoup plus renseignés sur le mobilier qu’abritaient les salles des
gardes à partir du règne de Louis XIV.
- 53 L’utilisation ordinaire de la salle des gardes entre les règnes de Louis XIV et Louis XVI n’ayant g (...)
- 54 Un modèle que l’on retrouve aussi dans d’autres pièces, voir Guiffrey 1885, vol. 2, p. 122.
- 55 Voir inventaires de Versailles 1776 et 1786, AN O1 3457 et AN O1 3470.
36À Versailles, les inventaires successifs qui couvrent assez bien le xviiie siècle donnent un aperçu homogène du mobilier type d’une salle des gardes royales53.
Bancs ou banquettes, paravents et parfois portes battantes, lustres et
accessoires pour la cheminée sont les plus souvent notés. Un mobilier
purement usuel, donc, qui correspond somme toute assez bien aux usages
que nous avons évoqués en première partie. À titre d’exemple, en 1740,
la salle du roi du Petit Appartement contenait quatre bancs de bois,
deux chenets assortis d’une tenaille et d’une pelle, deux grands
chandeliers à quatre bobèches en bronze doré portant le chiffre du roi54
et deux portières de tapisserie « de Mars ». Ces dernières
étaient d’un modèle assez banal dessiné à l’origine par Le Brun
pour Vaux-le-Vicomte en 1660 et retissé plusieurs dizaines de fois
jusqu’en 1724. Présentes dans de nombreuses pièces du château, elles
n’avaient pas forcément de rapport direct par le sujet représenté avec
la salle des gardes. Tout comme les paravents ou les portes battantes
cités dans d’autres inventaires de la salle, ces éléments servaient
avant tout à isoler les portes et à éviter les courants d’air. Le
mobilier était parfois complété par des tables, des chaises ou de
simples commodes comme à Versailles55.
La salle des gardes de la reine était meublée de façon similaire.
Sobrement aménagée en 1740 de bancs, de chandeliers de bronze doré et
d’un pare-feu, elle s’enrichit au cours du siècle de paravents et de
banquettes de moquette à motifs floraux. On relève également dans
l’inventaire de 1776 la présence de lits pour les femmes de chambre de
la reine, soustraits au regard par des feuilles de paravents.
37Quant
aux salles des gardes des autres membres de la famille royale, le
mobilier présentait les mêmes caractéristiques. On retrouvait ainsi
quelques bancs, paravents, banquettes et tabourets garnis de
moquette ; un mobilier assez pauvre en somme, voire parfois usé,
qui relevait plus de la commodité que du prestige.
38Le
décor de la nouvelle salle des gardes de Compiègne terminée en 1785
était un peu plus original qu’à Versailles. C’est de plus l’un des rares
cas (pour ne pas dire le seul que nous connaissons) où l’intégralité du
mobilier fut commandé pour une salle des gardes en même temps que
celle-ci était réalisée. Il comportait des paravents de treillis écru et
des banquettes peintes « couleur bois » vernies, de style
néo-classique. Les éléments les plus inédits de cet ensemble étaient les
trois lustres suspendus, réalisés en 1785, qui répondaient de façon
étonnante au reste du décor. Les branches de chacun d’entre eux étaient
constituées de quatre canons en bois doré posés sur une tour de laquelle
une fumée matérialisée en plomb s’élevait pour former les bobèches.
Chaque canon était soutenu à son extrémité par une chaîne à l’antique,
le tout suspendu par des cordons à glands de fil bleu56.
Ces étranges lustres ont malheureusement disparu mais ils constituaient
sans nul doute une fantaisie décorative assez pittoresque qui
outrepassait la simple adéquation entre l’iconographie et l’usage.
39Bien
qu’étrangement aucun inventaire n’en fasse mention, on peut imaginer la
présence de quelques râteliers pour poser les mousquets des gardes du
corps. Ces installations devaient être assez simples, comme celles que
l’on pouvait voir dans les arsenaux, c’est-à dire des cadres de bois,
indépendants ou accrochés aux murs, possédant des encoches pour
maintenir les armes.
- 57 Nous rappelons que les cent-suisses du guet sont déjà douze, et il faut compter environ au minimum (...)
40Le
matériel de couchage servant aux gardes la nuit, si l’on en croit les
inventaires, n’était pas entreposé dans les salles pendant la
journée ; on rencontre cependant deux exceptions : la
première, nous l’avons déjà noté, concerne les lits des femmes de
chambre de la reine Marie-Antoinette à Versailles et la seconde, la
présence de dix lits de sangle chez le roi à Fontainebleau. Pour ce
dernier cas, bien que leur usage ne soit pas précisé, nous ne pensons
pas que les lits étaient destinés aux gardes du guet vu leur nombre
insuffisant pour tous les gardes en service57.
- 58 AN O1 3454 et O1 3469.
41En
effet, pour le guet de nuit, les garçons du clerc du guet installaient
de simples paillasses qui étaient retirées au matin et apparemment
remisées dans un autre endroit. Une rare mention de l’espace de stockage
des paillasses figure sur le plan d’une partie des appartements du Roi à
Versailles, daté des environs de 1670 et provenant du fonds
Le Brun du musée du Louvre. À côté de la salle des gardes du Grand
Appartement, une petite pièce porte explicitement la mention « pour
les paillasses », de même qu’une autre située le long de
l’antichambre. La seule autre mention explicite d’un matériel de
couchage pour les gardes du corps ne se trouve pas dans la salle des
gardes, mais dans le salon de Vénus à Versailles. Derrière un paravent,
quatre matelas leur sont réservés dans les inventaires de 1751 et de
1786, remplacés sur ce dernier inventaire par neuf lits de sangle dont
un pour le brigadier58.
Il semble ainsi que quelques gardes du corps couchaient la nuit à
l’extrémité des Grands Appartements. Il est intéressant ici de remarquer
que bien que l’on n’hésite pas à entreposer des lits, des matelas et
d’autres éléments de mobilier dans des pièces des Grands Appartements et
même dans la galerie des Glaces (couchage pour les suisses), la salle
des gardes n’en est pas pour autant encombrée, si ce n’est,
exceptionnellement, pour l’usage d’autres personnels du château.
Fig. 11 : Charles Le Brun (atelier), Plan du projet du grand appartement du Roi à Versailles vers 1670, 43,3 × 57,8 cm. Paris, musée du Louvre, inv30286.
S = Salle des
gardes ; A = Antichambre ; Ch = Chambre ;
C = Cabinet ; GR = Garde-Robe ; x = Réduit pour
les paillasses.
© Marina Viallon
- 59 L’Adventure de Tancrède en la forêt enchantée dansée par le roi le 12 et Psyché dansé par la reine (...)
- 60 Huard 1936, p. 7-8.
42Lors
d’usages extraordinaires de la salle des gardes, celle-ci pouvait
accueillir un mobilier ou des installations exceptionnelles. Les bals,
ballets et festins qui y étaient organisés pouvaient donner lieu à des
transformations radicales et audacieuses. Les installations les plus
spectaculaires étaient celles conçues pour les ballets et nécessitant
décors et machineries. Ce fut le cas lors des ballets des 12 et 18
février 1619, dansés par les souverains dans la salle des gardes du roi
au Louvre (Salle haute)59.
Les comptes des Menus-Plaisirs recensent ainsi les poulies, les
cordages, la poudre d’or pour dorer les feuilles des arbres de bois et
le palais des dieux, les fleurs pour les bouquets, l’« eau
ardente » pour les feux d’artifice, ainsi que toutes les
fournitures de base telles que planches, barres de fer, toile, colle,
etc.60 En
l’absence de salle de spectacle permanente, c’étaient donc de véritables
théâtres, éphémères mais extrêmement complexes, qui pouvaient prendre
place dans la salle des gardes.
43Héritière
du grand hall médiéval, la « salle », première pièce publique
du logis royal, servait à de nombreux usages avant que la
réorganisation des appartements et les règlements de cour à partir
d’Henri II n’amorcent progressivement l’appropriation de cet espace
par les gardes du corps. En dehors d’usages pratiques, celle que l’on
appelle désormais au xviie siècle
la « salle des gardes » était avant tout une pièce de
représentation publique du pouvoir militaire royal, absente dans les
résidences ou les appartements à caractère plus intime. Dans les
résidences royales, elle était réservée aux membres de la famille du
souverain au sens restreint et sa possession fut un marqueur social
important jusqu’à la fin du xviiie siècle.
Cette importance sociale n’est pas toujours visible dans le décor et le
mobilier de ces salles. En dehors de quelques exemples de grands
décors, s’inscrivant dans des campagnes de travaux plus larges, ces
pièces sont plutôt sobres et remplies d’un mobilier utilitaire.
Cependant, lors d’événements exceptionnels, on n’hésitait pas à les
transformer totalement pour permettre des installations grandioses
allant de la salle de bal au parquet du parlement.
44Cette
apparente simplicité nous a fait oublier la place qu’occupait cette
salle sous l’Ancien Régime, place que l’on ressent pourtant tout au
long des témoignages et des règlements de l’époque. Elle était, à deux
niveaux, un élément clé dans l’étiquette de la résidence royale. Tout
d’abord pour les gardes du corps eux-mêmes qui (après le roi) y
régnaient en maîtres ; ensuite pour la Cour qui y reconnaissait une
marque de prestige ainsi qu’un lieu régi par les règles de préséances.
Étrangement, la chute de la monarchie entraîna avec elle celle de
l’usage de cette salle. Bien que les gardes continuent à exister dans
les régimes suivants, la salle des gardes est désormais absente de
l’appartement des chefs d’État, y compris lors de la Restauration.
Apparue tardivement dans l’histoire de la monarchie française, et l’on
peut dire disparue avec la Révolution, la salle des gardes était
peut-être trop étroitement liée au cérémonial des derniers rois pour
pouvoir perdurer après leur chute.
Tableau récapitulatif de la garde du roi au xviie siècle.
Garde du dedans
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Gardes du corps
Archers de la garde
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Cent-suisses
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Gardes de la prévôté de l’Hôtel Archers du grand prévôt
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Gardes de la Porte
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3 compagnies françaises
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1 compagnie écossaise
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25 gardes de la manche Archers du corps
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Gardes du dehors
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Gendarmes
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Chevau-légers
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Régiment des gardes françaises
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Régiment des gardes suisses
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Mousquetaires
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Gentilshommes au bec de corbin Les cent gentilshommes de la garde
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Les termes en italique désignent leur éventuelle appellation au xvie siècle.