Territorialiser les espaces modernes
XVe-XIXe siècle

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Bertrand HAAN

Extrait carte postale d'Alger

Résumés

Ce projet propose une réflexion sur les actions, les projets, les figurations et les imaginaires visant à la construction des territoires. Un tel phénomène est volontiers envisagé comme un simple cadre explicatif ou un élément d’explication globale se suffisant à lui-même. Au contraire, la réalité de ce qu’est le territoire doit être comprise dans un contexte spécifique : celui de l’expansion européenne entre les XVe et XIXe siècles.

On peut définir le territoire en tant qu’espace qu’un groupe humain s’approprie sur les plans politique et judiciaire, économique et religieux. Il constitue aussi un lieu de construction identitaire et communautaire, dans lequel une histoire commune se fonde notamment sur les pratiques religieuses et la croyance en un destin providentiel partagé. Il est enfin, à l’époque moderne, l’objet d’une institutionnalisation et l’enjeu d’un pouvoir éminent.

Le processus de territorialisation tend alors à se renforcer. La plupart des espaces de l’ancien et des nouveaux mondes européens se sont dotés très tôt de formes de cohérence. Les catégories traditionnelles du territoire se sont néanmoins trouvées bouleversées sous l’effet des conflits militaires et religieux, des migrations, de la mise en place d’appareils administratifs et de frontières… Ainsi la construction des territoires doit-elle être analysée comme une réalité mouvante et un enchevêtrement, fruit de rapports concurrentiels entre des entreprises d’appropriation et des imaginaires multiples, contribuant à l’élaboration de systèmes impériaux européens.

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The purpose of this project a collective reflection about actions, projects, figurations and imaginations aimed at the construction of territories and empires. Such a phenomenon is readily considered as a simple explanatory framework or an element of global explanation. On the contrary, the reality of what the territory is must be understood in a specific context: that of European expansion between the 15th and 19th centuries.

We can define it as a space politically, judicially, economically and religiously that a human group appropriated by a human group. It also constitutes an element of identity and community construction, in which a common history is based in particular on religious practices and the belief in a shared providential destiny. Finally, during the early modern period, it is a matter of institutionalization and power.

The territorialization process then tends to strengthen. Most areas of the old and new European worlds had gained consistency very early on. The traditional categories of the territory were nevertheless turned upside down under the effect of military and religious conflicts, migrations, the installation of administrative apparatuses and borders… Thus the construction of the territories must be analysed as a moving reality: the result of competing projects of appropriation and multiple imaginaries. Each of them contributed to the development of European imperial systems.

Extrait carte postale d'Alger

Présentation du projet

Ce projet propose une réflexion collective, impliquant des chercheurs européens, sur les actions, les projets, les figurations et les imaginaires visant à la construction de territoires, marquée par une éminente dimension impériale. Les historiens modernistes n’ont sans doute pas accordé l’importance qu’il mérite à ce phénomène, qui ne peut se réduire à un usage minimal et instrumental – l’espace comme cadre explicatif – ou à un élément d’explication global se suffisant à lui-même. Il est pourtant une catégorie et une échelle d’analyse indispensables.

Ayant gagné d’innombrables acceptions depuis les années 1980, le territoire ne peut être envisagé que dans un contexte spécifique. On peut le définir comme l’espace qu’un groupe humain s’approprie, politiquement, économiquement et juridiquement. C’est aussi un lieu de construction identitaire et communautaire, dans lequel ce qui fonde l’histoire commune sont d’abord les pratiques religieuses et la croyance en un même destin providentiel. Il est enfin, selon les critères de l’époque moderne l’objet d’une institutionnalisation et, comme l’a souligné Michel Foucault, un enjeu de pouvoir éminent.

Du XVe au XIXe siècle, le processus de territorialisation, qui n’a rien de linéaire, tend clairement à se renforcer, entre autres du fait de l’affirmation de l’État en Europe, des expansions européennes dans de nouveaux mondes, du renforcement de l’encadrement ecclésiastique, et des résistances qu’ils suscitent. La plupart de ces espaces ont été dotés très tôt de formes de cohérence, mais les catégories traditionnelles du territoire se sont trouvées bouleversées sous l’effet de conflits militaires, politiques, religieux ou juridiques, de migrations ou de la mise en place d’appareils administratifs et de frontières.

Les territoires sont tout sauf une donnée intangible ou un emboîtement cohérent, mais plutôt une réalité aux contours mouvants et imbriqués, fruit de constructions et de convoitises. Aussi semble-t-il nécessaire de s’interroger sur le rôle joué par les divers acteurs et par les conflits qui les opposent. Dans des processus qui ne peuvent être que collectifs, ils ne se limitent pas aux seuls détenteurs de l’autorité. Les processus d’appropriation, réels et/ou imaginaires, qu’ils mettent en œuvre méritent aussi d’être soumis à l’analyse : dans les entreprises de catéchisation et de conversion, la mise en place de structures institutionnelles et les projets migratoires, entre autres, les logiques territoriales sont des enjeux majeurs.

Le phénomène de territorialisation doit aussi être mis en question, particulièrement son caractère plus ou moins achevé, le degré de polarisation que peuvent exercer les centres de pouvoir, ainsi que la vocation, la cohérence et la conscience des frontières que l’on établit ou que l’on imagine. Il relève, enfin, de logiques plurielles. Entre les entreprises visant à territorialiser les espaces revendiqués et des formes préexistantes ou concurrentes de territorialisation, les tensions sont permanentes. Leur enchevêtrement et leur caractère plus ou moins formel et officiel doit être pleinement pris en compte, tout comme leur perception à diverses échelles, par les groupes, les institutions mais aussi les individus, tous engagés dans des réalités territoriales et impériales multiples.

C’est sur ces bases que s’est engagée en 2018 un cycle annuel de séminaires de recherche organisé à la Villa Finaly, à Florence. Pleinement européen, le projet est principalement porté par Bertrand Haan, Grégoire Salinero (Université Paris 1) et Jean-Philippe Priotti (Université du Littoral-Côte d’Opale). Il est le fruit de l’association du Centre Roland Mousnier et de l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine (IHMC), associés à plusieurs équipes de recherche et institutions en France, en Espagne et en Italie : Labex EHNE, CRHAEL/Université du Littoral-Côte d’Opale, Université de Caen/ERLIS, Université Paris VIII, IUF, Universidad de Extremadura, Universidad de Santiago de Compostela, Universidad de Navarra, Columnaria. Red de Excelencia sobre la movilidad de las sociedades y las fronteras de los Mundos Ibéricos (COREDEX), Università degli studi di Firenze, Università di Pisa, Università di Foggia et Università Roma III.

Plusieurs chercheurs rattachés au sous-axe « Analyse des systèmes impériaux » collaborent à ce projet : Laura de Mello, David Chaunu, ainsi que d’autres membres du Centre Roland Mousnier : Adrien Pitor. Les séminaires sont conçus comme des ateliers dans lesquels sont présentés des pistes de recherche, voués à nourrir une réflexion collective menée sur plusieurs années. Ils sont ensuite valorisés sous diverses formes : de manière régulière par la captation vidéo, qui doit, grâce aux soins de Régis Verwimp (IHMC-Institut de la guerre et de la paix), doit faire l’objet d’une diffusion en ligne. En outre, une ou plusieurs publications de synthèse viendront clore le projet.

Extrait carte postale d'Alger