Les Européens en Algérie

Naissance d'une population
et construction des identités
en contexte colonial
(1830-1962)

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Corinne GOMEZ-LE CHEVANTON

Extrait carte postale d'Alger

Guide de sources

Résumés

L’enquête en cours au sein du CRM vise à localiser, récolter, inventorier des données administratives, des sources d’ego-histoire, des sources ministérielles ou territoriales dans les dépôts d’archives français sur les populations européennes de l’Algérie coloniale (1830-1962). Les archives invitent d’abord à replacer l’Algérie dans le cadre des grandes migrations du XIXe siècle puis à s’interroger sur les étapes de la naissance -si elle a lieu- d’une « communauté » unie, de culture européenne, vivant sur le sol algérien, du point de vue de la démographie, des statuts juridiques, de leurs pratiques politiques ou encore de leurs rapports sociaux.

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The current survey within the CRM aims at locating, collecting, inventorying administrative data, ego-history sources, ministerial or territorial sources in the French archive repositories on the European populations of colonial Algeria (1830-1962). The archives first of all invite us to place Algeria in the context of the great migrations of the 19th century and then to consider the stages of the birth - if it took place - of a united "community" of European culture living in Algeria, from the point of view of demography, legal status, political practices and social relations.

Extrait carte postale d'Alger

Présentation du projet

Extrait carte postale d'AlgerEst-il aujourd'hui possible d'écrire une histoire des populations « européennes » ayant vécu en Algérie en évitant les clivages passionnels, ancrés dans les affects nés du système colonial, les ruptures et les tragédies liées à la guerre d'indépendance ?

Jusqu'à récemment, au-delà des études générales portant sur l'Algérie, nous disposions essentiellement d'études publiées à partir du milieu du XIXe siècle qui présentaient des statistiques agrégées, la plupart du temps intégrées dans des développements sur la « fusion » des « races européennes » et le rejet des « Indigènes », qu'ils soient musulmans ou juifs ; et d’études faites dans une perspective mémorielle par des « pieds-noirs » ou leurs descendants, qui constituent encore un volet majeur de cette historiographie.

Ce n'est que depuis peu que l'histoire de l'Algérie et des populations y ayant vécu se construit autour de nouvelles problématiques et dans un cadre académique. De nouvelles études générales portant sur l’Algérie, ces dernières années, entendaient faire un état des lieux des connaissances acquises et des recherches récentes. Au sein de cette histoire en construction, pour différentes raisons, les populations « européennes » établies sur le territoire algérien n'ont fait l'objet que de rares études universitaires approfondies. Au-delà d’études sur des groupes d’origine géographique identique, sur des minorités religieuses, ou sur la prise en compte du rapatriement de 1962 et par la suite de sa mémoire, l’histoire des migrations multiples et variées en Algérie, reste encore un vaste chantier à ouvrir.

Nombre de cartons d’archives invitent d’abord à replacer l’Algérie dans le cadre des grandes migrations du XIXème siècle et dans la création des empires coloniaux. Toutefois, l’Algérie est singulière. Elle n’est pas par exemple une colonie d’exploitation dont le peuplement européen est limité (comme l’AOF) ; elle n’est pas non plus une colonie de peuplement où les autochtones auraient été éliminés (Canada, Australie….) ou mis à l’écart dans le cadre d’une ségrégation institutionnelle (Afrique du Sud). Elle est encore un exemple insolite d’implantation du colonat européen et d’appropriation foncière en Afrique. Elle apparait aussi comme une exception dans l’Empire colonial français. Son statut départemental, sa proximité avec la métropole comme l’importance du peuplement européen, en font un espace difficile à relier aux grands modèles de colonisation. L’Algérie est enfin incontestablement « la » colonie de peuplement du second empire colonial français, ce qui en fait avant tout sa particularité.

Aujourd’hui, l’historiographie tend à s’affranchir de l’approche monographique pour explorer des problématiques réinscrivant l’histoire des migrations européennes dans le contexte de la colonisation ; et l’étude de la société coloniale est envisagée autour des groupes structurant cette société. La problématique de la fusion des « races européennes » invite à s’interroger sur les étapes de la naissance -si elle a lieu- d’une « communauté » unie, de culture européenne, vivant sur le sol algérien, du point de vue de la démographie, des statuts juridiques, de leurs pratiques politiques ou encore de leurs rapports sociaux. Les récits de ces Européens invitant surtout à considérer ces différents groupes comme presque étrangers les uns aux autres, avec une différence marquée entre les Français et les autres.

Quelle réalité de la cohabitation de ces groupes européens dans l’Algérie coloniale les archives nous permettent-elles de saisir ? Quelles sont les sources qui peuvent nous permettre d’appréhender leurs interactions, cohabitations, tensions afin de restituer au mieux ce que pouvait signifier une colonie de peuplement pour ceux qui la composaient et qui y vivaient. Quels récits pouvons-nous dérouler qui relèvent de l’histoire sociale allant du groupe aux singularités ?

Il semble pertinent d'aborder ces questions sur les premières décennies de la présence européenne (1830-1870), avant les lois attribuant collectivement la citoyenneté française aux Juifs (1870) et à tous les Européens présents dans les décennies suivant cette loi. Enfin, à partir de la grande loi sur la nationalité de 1889, comment s’expriment les différences entre « néo-français » et « français d’origine » ?

Les mariages entre migrants d'origines différentes, ou entre enfants de migrants d'une part, l'école, le service militaire pour ceux qui ont été naturalisés, puis les trajectoires individuelles, professionnelles et familiales d’autre part, ont certainement constitué des facteurs de rapprochement au sein de cette nouvelle population. Ensuite, face aux contextes de guerres (1939-1962), la population européenne se sent elle unie, est-elle perçue de façon homogène par l’Etat, ou au contraire voit-on ressurgir des différences et des tensions liées aux origines nationales quand se jouent alors des questions de maintien de l’ordre, de surveillance politique, d’exclusion du groupe dans le cas des Juifs pendant le régime de Vichy et finalement de fidélité à la Nation.

L'Algérie, qui a été le seul territoire du XIXe siècle recevant de nombreux migrants originaires de France, ainsi que de nombreux migrants d’autres pays européens, offre un terrain d'analyse remarquable, notamment par la qualité des sources disponibles (registres paroissiaux, actes de mariage, registres d'état civil en général, dossiers de naturalisation, archives générales, archives ministérielles, archives territoriales, préfectorales ou communales, etc.).

Carte postale Au Rendez-vous des colons